Chaque mois, MAF & Vous pose son micro sur le bureau d’un concepteur. Qu’il soit architecte, ingénieur, économiste, paysagiste ou encore architecte d’intérieur, il présente son activité et la vision qu’il en a.
MAF & Vous

Ce mois-ci, cap sur Le Pecq (78), au sein du bureau d’études Mecobat. Son fondateur Rocco Ferreri partage avec nous son approche de l’ingénierie comme passerelle entre territoires, disciplines et cultures, entre France et Italie.

Bonjour Rocco Ferreri, pouvez-vous nous raconter votre parcours en quelques mots ?

Rocco FerreriBien sûr ! J’ai étudié à l’école polytechnique de Turin en Italie. Puis, en 5è année, j’ai intégré les Ponts et Chaussées à Paris dans le cadre d’un échange étudiant. J’ai été captivé par le programme et j’ai décidé de rester une fois mes études terminées, en 2000.

J’ai d’abord travaillé comme directeur de projet, ingénieur généraliste, avec une dominante génie civil et structure. Mais, j’ai toujours eu envie de travailler sur l’ensemble des disciplines liées à la construction et à la réhabilitation de bâtiments.

En 2008, j’ai donc créé Mecobat, un bureau d’études avec une forte activité dans le secteur public : appels d’offres, équipements, ministères. On intervient aussi dans le privé, mais la dominante reste tout de même le marché public.

En 2021, j’ai voulu élargir le champ d’action du bureau et relancer une présence active en Italie, avec l’envie de faire le lien entre mes deux pays. De là est né le réseau PIQ, une organisation qui permet de faire de l’ingénierie sans frontières, fondée sur des valeurs partagées, des méthodes collaboratives et un système qualité commun. 

Désormais, nous avons deux implantations : une agence au Pecq, dans les Yvelines (78), une autre en Italie, dans le Piémont entre Turin et Milan.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette solution PIQ ?

C’est un réseau qui réunit des ingénieurs, des architectes, des industriels, .... Aujourd’hui, nous sommes entre 30 et 40 membres, mais l’objectif est de se développer sans limites. Bien sûr, avec un axe France/Italie, mais notre champ d’action est bien plus large. Nous intervenons dans toute la zone méditerranéenne et au-delà : au Japon, en Côte d’Ivoire… Nous travaillons en équipe multidisciplinaire, de façon décentralisée mais coordonnée, autour de projets qui dépassent souvent les frontières nationales. 

Nos partenaires dans PIQ ne sont ni des sous-traitants ni des free-lances. Ce sont des consultants, des ingénieurs spécialisés, chacun reconnu dans son domaine, qui gardent leur identité juridique et professionnelle, tout en intervenant ponctuellement sur nos projets. Ce modèle de coopération éthique et valorisante permet une grande réactivité, tout en garantissant la qualité et la cohérence des prestations. Il s’agit d’un mode de fonctionnement innovant dans notre secteur, que nous avons développé depuis 2021 et que nous présentons désormais dans nos dossiers de candidature aux marchés publics, notamment ceux émis par les ministères ou les grands donneurs d’ordre.

D’ailleurs, ce type d’organisation a été présenté au Congrès National des Ingénieurs en Italie en 2022. Le thème portait sur la manière de travailler en ingénierie et questionnait le principe de frontière sous un angle qui me paraissait intéressant : sont-elles une barrière ou une opportunité ? J’ai donc apporté ma solution avec un modèle concret d’ingénierie transnationale.

« Avec PIQ, il y a cette ouverture, à la fois physique, géographique et aussi dans la façon de voir les choses. »

Comment cette solution PIQ se traduit-elle ?

À la base, PIQ est né d’un projet de développement social, culturel et économique dans le Piémont, là où j’ai ma maison.

Cette initiative, portée par le ministère de la Culture italien, vise à revaloriser le territoire en s’appuyant sur des fonds européens du PNRR – le Plan National de Relance et de Résilience. Ce plan vise à préparer les territoires aux grandes crises, qu’elles soient climatiques, sociales ou économiques. Cela passe par la réhabilitation, la rénovation urbaine, la durabilité mais aussi par les aspects sociaux et sociétaux. C’est dans ce cadre que Mecobat intervient. Bien sûr, nous faisons de la technique, de l’ingénierie, mais notre travail va bien au-delà. Nous agissons sur tout ce qui gravite autour du projet : l’insertion sociale, la valorisation du patrimoine, le développement durable.

Ce que nous appelons « ingénierie sans frontières » est aussi une ingénierie responsable : PIQ fonctionne selon une logique profondément RSE, même si le terme n’est pas toujours affiché. En structurant nos pratiques autour de la coopération internationale, de la valorisation du territoire et de la formation continue, nous répondons aux grands enjeux sociaux, environnementaux et éthiques actuels.

« L’approche de Mecobat, c’est celle d’une ingénierie 360°. »

Un exemple ? 

Oui, bien sûr. Dans des quartiers jugés prioritaires, nous construisons des bâtiments symboles : un pavillon pour garder la mémoire, pour former, pour créer du lien, sur place ou à distance. C’est tout l’esprit de l’ « Accadémie-2C » qui représente notre façon de penser la formation : un modèle réplicable, avec des antennes, où chaque construction devient un acte de réappropriation des techniques traditionnelles. 

L’idée, c’est aussi de montrer qu’on peut construire des bâtiments modulaires et adaptés aux crises. Nous apportons notre contribution, nos idées et nos méthodes constructives, toujours dans une optique de résilience.

Quelles différences entre le Plan National de Relance et de Résilience italien (PNRR) et le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain français (NPNRU) ?

Le PNRR en Italie est un plan très vaste. Il couvre un ensemble de domaines : la rénovation, bien sûr, mais aussi l’économie, le social, la culture, la durabilité… C’est une vision globale de la résilience.

En France, le NPNRU, lui, est centré uniquement sur la rénovation urbaine. Ce n’est qu’un aspect de la résilience. On est sur un programme plus ciblé, qui ne couvre pas tout ce que touche le PNRR. Néanmoins, les deux sont étroitement liés.

Ce qui m’a surtout intéressé, c’est la différence entre les approches du secteur public et privé en rénovation urbaine, en France et Italie. Mais surtout, j’ai voulu montrer comment ces deux systèmes peuvent s’enrichir mutuellement, grâce à des méthodes et des modes d’organisation qui, au fond, sont complémentaires.

Et concrètement, qu’apporte PIQ ?

Le réseau PIQ montre comment travaillent les ingénieurs en Italie et en France, et comment cette double culture, cette double approche, peut devenir un vrai atout.
Grâce à PIQ, on peut :

  • Partager nos expériences, notamment sur la rénovation urbaine et la durabilité.
  • Croiser les bonnes pratiques.
  • Se regrouper pour être plus forts face aux grands défis.
  • Monter des projets plus ambitieux, avec plus d’impact sur les territoires.
  • Échanger nos ressources, nos expertises, nos outils.
  • Et surtout, mutualiser les efforts pour répondre ensemble à des objectifs communs.

C’est une vraie logique de coopération, où chacun garde son identité, mais où le collectif permet d’aller plus loin.

Pour revenir à Mecobat, quels sont vos projets phares ? 

Le spectre de notre activité est très large. En France, nous travaillons avec tous les ministères via des accords-cadres centralisés par le MINEFI (ministère de l’Économie et des Finances). Nous intervenons donc pour différents organismes de l’État. A ceux-ci s’ajoutent des bailleurs sociaux comme Action Logement, la Caisse des Dépôts, la RIVP… Et dans le privé, nous accompagnons des hôtels, des banques …

Notre structuration et notre capacité à intégrer ponctuellement des compétences de haut niveau à travers PIQ est un atout majeur dans nos réponses aux marchés publics. Nous expliquons cette organisation aux maîtres d’ouvrages, et elle est comprise comme une forme avancée de mutualisation, garantissant à la fois souplesse, expertise, et ancrage territorial.
Deux initiatives emblématiques incarnent notre approche : l’ « Accadémie-2C », réseau de hubs pédagogiques sur chantiers, et « Borghi per Noi », un projet de valorisation des territoires du Monferrato (Piémont, Italie) mêlant gastronomie, culture, architecture et formation. Ces projets sont pensés comme des démonstrateurs de notre ingénierie 360°, à la fois techniques, sociaux et culturels.

Notre approche est pluridisciplinaire. C’est d’ailleurs notre philosophie. Nous sommes un bureau d’études qui traite tous les aspects techniques et économiques de la construction : les fluides, les structures, le développement durable… Nous intervenons en lien direct avec la maîtrise d’ouvrage, mais aussi en collaboration étroite avec les architectes, quelle que soit la taille de l’agence. Tous ensemble, nous formons une vraie équipe !

On dit que le rôle de l’ingénieur c’est de brider la créativité de l’architecte : qu’en pensez-vous ? 

Le but, c’est de co-construire dès l’amont du projet, et non pas d’arriver une fois que tout est figé. C’est en procédant ainsi que l’on sort de l’ornière qui veut que nous ne soyons là que pour brider la créativité de l’architecte. Ce terme me dérange d’ailleurs. Mon rôle, est davantage d’orienter que de restreindre les ambitions de l’architecte. C’est en travaillant main dans la main dès la phase de conception que l’on fait un bon projet.

Quelles sont les différences entre la France et l’Italie dans la conception et la commande des projets ?

D’un point de vue purement administratif, les logiques d’appels d’offres sont très différentes. En Italie, le prix pèse beaucoup plus dans la balance. Il y a un système de classement, de rabais, qui influence la manière dont les projets sont attribués.
Côté conception, les architectes italiens font les plans d’exécution, contrairement à la France où ce travail est souvent délégué aux entreprises. Cela n’est pas sans conséquences : en Italie, on va plus loin dans le détail technique en amont, mais ça peut aussi limiter la prise de risque ou la créativité.

« L’acte de concevoir n’est pas propre à un pays, mais plutôt à une personne, à une équipe. »

Quant aux équipes, on trouve plus souvent en Italie des agences qui regroupent ingénieurs et architectes. En France, c’est plus rare. La séparation reste plus marquée. Chez Mecobat Italie, nous avons intégré des architectes à nos équipes. C’est aussi ce qui fait la spécificité de notre réseau PIQ : nous favorisons une vraie intégration des disciplines, des compétences. Nous travaillons aussi bien avec des sociologues, des urbanistes, que des neuroscientifiques – par exemple pour des projets d’hôpitaux. Nous ne pouvons pas tout internaliser, mais grâce au réseau, nous avons accès à des expertises très pointues de façon fluide et collaborative.

Si vous n’aviez pas été ingénieur, qu’auriez-vous fait ? 

J’aurais sûrement choisi un domaine comme l’électronique, peut-être les télécommunications. Au collège, ce domaine me fascinait et je sentais qu’il y avait matière à être créatif, à innover. J’ai toujours été attiré par la transmission de données, les systèmes, les connexions. 

« Ce que j’aime, c’est partir de quelque chose de concret et physique, pour ensuite créer et imaginer des modèles plus larges. »

Enfin, quelle est votre plus grande fierté dans le métier ?

D’avoir créé un environnement qui permet d’aller plus loin que ce qu’on fait habituellement. On ne se contente pas de construire des bâtiments, d’assembler des conteneurs. On monte des projets, on innove, avec un vrai impact social et culturel.

Par exemple, le concept du Pavillon de la mémoire dont je vous parlais, sera peut-être utilisé pour créer une antenne de l’Académie 2C dans des territoires isolés. On parle de lieux où il est parfois difficile d’installer des structures classiques pour des raisons politiques ou sociales. Là, on vient avec un objet modulaire, transportable, qui peut former, transmettre et rassembler. Nous bousculons des paradigmes sociaux grâce à la construction. C’est ce qui me rend réellement fier.

© Nicolas Grosmond
Crèche à Noisy-Le-Roi
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