
… comment une « fausse bonne idée » a failli me mener au sinistre.
C’est une pratique courante en phase ACT (assistance à la passation des contrats de travaux) : écouter l’entreprise quand elle propose des modifications afin de simplifier l’exécution des travaux ou de remporter un marché. Et pourtant : en voulant réduire les coûts et les délais, on augmente souvent le risque technique pouvant conduire à un sinistre…
Me voilà embarqué avec mon BET sur la conception d’une façade contemporaine intégrant un bardage en lames de bois exotique ajourées vissées sur une ossature aluminium fixée sur l’ITE grâce à des vis en inox visibles. Le client est immédiatement séduit par le jeu d’ombre et de lumière.
Dans un souci « d’optimisation esthétique » et de « simplification » de pose, l’entreprise suggère d’utiliser un système de fixations cachées plutôt que des fixations visibles.
Outre l’aspect « épuré », le temps de pose est considérablement réduit. « Time is money », paraît-il.
La décision est prise rapidement et le maître d’ouvrage valide la proposition de variante. Pris de court avec mon BET, nous émettons immédiatement des réserves sur cette solution. Rien n’y fait : on nous demande de viser les plans d’exécution intégrant la variante dans les plus brefs délais.
Le projet se poursuit. Le chantier se termine. Le bâtiment est livré.
Plusieurs années s’écoulent… jusqu’au jour où une lame tombe. Rapidement suivie d’une seconde. Le risque pour les personnes et les biens au pied du bâtiment est évident. Les regards ne tardent pas à se tourner vers l’équipe de maîtrise d’oeuvre.
Place à l’expertise….
Rapidement, il s’avère que la variante proposée par l’entreprise est la cause du désordre : si elle a facilité la pause, elle a surtout omis les principes fondamentaux du comportement du bois en extérieur. Trop faible liberté de mouvement, mauvaise condition d’aération conduisant à des déformations, clips sous dimensionnés au regard des conditions climatiques… L’ingénieur et moi relevons un peu la tête, mais pas pour longtemps.
En première analyse, l’expert reproche cette conception à l’équipe de maîtrise d’oeuvre.
Je dois rouvrir des dossiers vieux de plusieurs années et y trouver un écrit dans lequel j’émets mes réserves au maître d’ouvrage, et l’alerte sur le besoin de conduire de nouvelles études avant de valider la variante.
L’écrit existe, fort heureusement, mais n’a jamais été suivi d’effets.
L’expert relève que la méthodologie mise en oeuvre dans la réalisation de la façade a été délibérément validée par le maître de l’ouvrage de concert avec l’entreprise, à seule fin de simplification et au mépris du CCTP défini par le maître d’oeuvre.
Le verdict tombe : ma responsabilité est écartée grâce à cet écrit.
Ce qu'il faut retenir :
Cet exemple illustre comment une modification peut entraîner des conséquences désastreuses si elle n’est pas validée par une analyse technique rigoureuse des matériaux et de leur comportement dans le temps, et si elle ne respecte pas les règles de l’art et les normes de construction.
Il convient de vérifier les incidences de la variante et de respecter le processus de traitement de celle-ci :
- Analyser si la variante impacte le projet, voire le programme.
- Envisager une reprise de la conception initiale.
- Vérifier les éventuelles incidences sur les autorisations administratives obtenues.
- Obtenir l’avis des autres concepteurs, au sens large, et reprendre la conception.
- Solliciter l’avis du contrôleur technique.
- Évaluer l’incidence éventuelle sur les autres lots techniques.
- Émettre les additifs au marché de travaux.
- Évaluer l’incidence sur le planning (OPC).
- Calculer l’incidence financière pour la MOE (études complémentaires).
- Vérifier les conséquences en matière d’assurance (TRC, DO et RCD).
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06 octobre 2025