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MAF & VOUS : Baldassari Sibourg : « Avant d’être architecte, j’ai détesté l’architecture »

Aujourd’hui, direction Marseille pour rencontrer Sophie Baldassari, une jeune architecte qui a d’abord tout fait pour ne pas le devenir. Fille d’architectes, elle est rapidement rattrapée par cette profession dans laquelle elle a toujours baigné. Elle fait ses gammes chez Jean Nouvel avant de relever un challenge de taille : reprendre l’agence familiale. De son rapport à l’architecture à la casquette de cheffe d’entreprise, elle se raconte dans un nouveau numéro de MAF & VOUS.

ArchitecteBonjour Sophie Baldassari !

Bonjour la MAF !

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? 

J’ai 35 ans, je suis architecte, fille d’architectes et à la tête de l’agence Baldassari-Sibourg Architectes (BSA).

L’architecture fait partie de mon histoire. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été en contact avec cette discipline. Mes parents la pratiquaient dans notre maison où ils avaient installé leur agence. Chaque jour était l’occasion d’un défilé d’entreprises, de maîtres d’ouvrage … Toute notre vie était articulée autour de l’architecture !

Ça m’a d’abord vacciné CONTRE ce métier et je me suis orientée vers la communication visuelle à l’occasion d’études qui m’ont amenées au Canada. J’ai adoré la créativité de cette formation.

Toutefois, il me manquait un élément : être utile aux autres. Et qu’est l’architecture sinon un procédé visant à mettre un toit sur la tête de quelqu’un ? C’est une vision assez naïve, j’en conviens.

Vous faites donc vos bagages et rentrez en France avec l’idée de devenir architecte ?

A peu de choses près oui : j’ai tenté le concours de l’ENSA Marseille et la réconciliation avec l’architecture a pu débuter. Les études, les professeurs, tout m’a passionné. Est-ce dû au fait que j’étais un peu plus âgée que les étudiants en cursus classique tout juste bacheliers ? Je ne sais pas.

Tout ce que je sais, c’est que j’ai dévoré les études et que la passion est née à ce moment. 

La passion après le rejet ?

C’est ça ! Pas un rejet de l’architecture, mais de sa pratique, de ses problèmes, de ses process … A travers les yeux de mes parents, ou tout du moins de ce que j’en percevais, j’ai l’impression de n’avoir gardé que les angoisses, les problèmes de chantier, les conflits … 

Vous voilà jeune diplômée sur le marché du travail.

J’ai débuté aux Ateliers Jean Nouvel, enchaînant les stages avant de décrocher un poste sur la construction de « La Marseillaise ». Ça a été très instructif, je me retrouvais sur une échelle de projet assez rare ! Ce fut une chance incroyable ! 

Les événements de la vie m’ont ensuite imposé un choix : reprendre l’agence familiale ou la voir disparaître. Je n’ai pu m’y résoudre. Avec mon frère, économiste de la construction, nous avons relevé le défi qui m’a conduit, à 30 ans à peine, à la tête d’une entreprise et d’une équipe.

Économiste et architecte à la tête d’une même agence, qu’est-ce que ça donne ?

Une grande complémentarité et une indépendance préservée : nous avons deux sociétés distinctes car commercialement, la maîtrise d’ouvrage préfère avoir un économiste distinct.  

Comment se sont passées les premières années ?

Elles furent compliquées. Très compliquées. 

Nous sommes une agence dite de taille « moyenne », de 6-7 personnes, avec un portefeuille clients à consolider. Ce que nous parvenons à faire ces deux dernières années, en s’appuyant sur une nouvelle dynamique d’équipe. Les résultats sont là : de nouveaux projets entrent et nous sommes en plein développement avec de nouveaux recrutements à venir !

Quelle est votre spécialité ?

Mon père a débuté sa carrière en tant que maître d’ouvrage pour des bailleurs sociaux. Naturellement, lorsqu’il a fondé son agence avec ma mère dans les années 90, il a conservé sa typologie de clients habituels, riche de sa connaissance et de sa compréhension des problématiques propres à cette maîtrise d’ouvrage.

C’est donc assez naturellement que l’agence s’est orientée vers les bailleurs sociaux de la région, créant son empreinte autour de cette commande. Aujourd’hui cela se traduit par notre capacité à conduire des projets de rénovation en sites occupés, à réhabiliter des morceaux de ville.

La production de l’agence s’équilibre entre le neuf et la réhabilitation.

Comme ce que vous avez fait sur le projet « Le Charel » ?

Exactement. Nous y avons rénové un quartier de 933 logements pour 3000 personnes. Cela représente plus d’habitants que 80% des communes françaises. 

Croyez-vous en l’avenir de la rénovation en sites occupés ?

Oui, bien au-delà des seuls logements sociaux il me semble inévitable que cela devienne une grosse part de notre activité. 

Je crois en un basculement de paradigme vers une construction de la ville sur elle-même, au bénéfice de terres agricoles préservées. Toutefois, cela implique une chose : construire en présence des habitants, qui continuent de vivre sur place, d’avoir besoin de l’eau courante, de l’électricité … 

Nous sommes à l’orée d’une nouvelle manière de pratiquer notre métier, avec de nouveaux savoir-faire et une obligation de réinvention. 

En lien avec ce que vous appelez « Réenchantier » sur votre site internet ?

Ce sont de petites missions que nous proposons aux bailleurs avec lesquels nous travaillons et qui échappent au périmètre de la loi MOP. Avec, il y a l’envie de proposer un accompagnement aux habitants grâce à de petits ateliers spécifiques aux projets en cours. 

L’idée est toujours la même : l’appropriation. Récemment, nous sommes intervenus en parallèle d’un projet de construction de logements neufs, implantés sur des logements déconstruits, faisant face à une école.

Au cours d’ateliers avec les habitants, une idée est née : faire peindre par les élèves, les pierres et les galets trouvés pendant la déconstruction et les intégrer en tant que mobilier urbain du futur parvis. 

Notre rôle s’est résumé à réunir tous les acteurs autour d’une table et d’ensuite faire le lien avec les partenaires pour que l’idée devienne réalité. Mais grâce à ce genre de dispositifs, on met les futurs usagers au cœur de la réflexion et du bâtiment en devenir. C’est, à mon sens, primordial à une bonne intégration de nos bâtiments et à la pérennité des ouvrages que nous livrons. 

Après plusieurs mois compliqués par la pandémie et les élections municipales, comment se porte l’activité de l’agence ? 

Nous avons renoué avec des niveaux d’activité standards. 

La seule habitude qui semble s’installer, et c’est pour le mieux, ce sont les réunions en visio. Tous les acteurs s’y mettent au bénéfice de beaucoup de temps économisé dans les transports ! Il y aura toujours besoin de rencontres, de moments d’échanges en présence, toutefois les réunions de suivi se dématérialisent très facilement.

Quelle phase du projet préférez-vous ?

La conception ! J’adore les esquisses, la faisabilité … Le démarrage du projet !

Moins le chantier ?

C’est dur, c’est long, c’est un peu lent … C’est le temps que les choses se fassent. Tous les architectes de l’agence en font. Ça me parait être une étape difficilement dissociable de notre métier. C’est une formation continue indispensable dans l’évolution de la conception et du dessin de l’architecte. 

Le chantier remet parfois les pieds sur terre, lorsque l’on voit la difficulté qu’ont les entreprises à construire ce que nous avons dessiné.

Qu'est ce qui occupe l'esprit lorsque l'on se retrouve à la tête d'une agence d'architecture ?

Faire vivre son entreprise ! Et je peux vous dire que c’est une problématique éminemment protéiforme ! Il faut à la fois trouver de nouveaux projets, maintenir la cohésion d’un groupe, satisfaire les clients, maintenir un écosystème de travail dans lequel tout le monde s’épanouit … Ce n’est pas simple tous les jours!

Au milieu de tout cela, vous reste-t-il du temps pour être architecte ?

C’est une vraie question ! Il est certain que je consacre plus de temps à gérer l’entreprise qu’à être architecte. J’aimerais d’ailleurs être davantage dans la production, dans l’architecture au sens premier. C’est un challenge quotidien de trouver le bon équilibre.

Si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous pu devenir ? De ce qu’on aura compris, pas graphiste vraisemblablement !

(Rires) Je ne sais pas, il me va bien ce métier ! Pendant longtemps je voulais être illustratrice pour enfants, et c’est d’ailleurs ce qui a guidé mon choix pour le graphisme. Mais je me suis aperçu que c’est un métier relativement solitaire, alors que je suis profondément sociable …

Quel est votre premier souvenir d'architecture ?

La fondation Maeght, de Joseph Lluis Sert à Saint-Paul de Vence (06). Nos parents nous y accompagnaient régulièrement pour y voir des expositions. 

Est-ce que c’est mon premier souvenir d’architecture avec des parents qui nous emmenaient souvent sur les chantiers ? Peut-être pas. C’est en tout cas la première fois que je me suis questionnée, interrogée devant une réalisation qui m’a fait prendre conscience de la notion de beauté.

Quelle est la plus belle réalisation architecturale selon vous ?

J’aime la simplicité et la fluidité des réalisations de l’architecte portugais Alvaro Siza. 

Quelle est votre plus grande fierté dans le métier ? 

Ce n’est pas simple de répondre à cette question. Il me semble que c’est lié à un projet de création d’une salle polyvalente dans le quartier de « La Solidarité » dans la banlieue nord de Marseille. Nous travaillions pour le compte d’un centre social, et au fil du projet, nous avons co-construit certains aspects directement avec les habitants du quartier. 

Nous avons reproduit l’expérience à l’occasion de la création d’un siège social à Aix-en-Provence. Le projet a été mené en collaboration avec les salariés invités à participer à des ateliers thématiques. Cela a considérablement nourri la dimension architecturale du programme, pour un rendu final qui a gagné en sagesse et en « radicalité » grâce aux futurs usagers.

Le collectif toujours, et l’implication des usagers encore … ça en deviendrait presque la signature de l’agence.
 

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