Échanger avec Simon Teyssou, c’est découvrir un amoureux de l’architecture. Celle qui égaye le quotidien. Celle qui s’offre simplement mais qui se conçoit techniquement. Celle grâce à laquelle les ruralités se retrouvent, parfois, au centre de toutes les attentions. Ce cantalou de toujours nous a ouvert les portes de son agence de 18 personnes posée au Rouget, bourgade de 1200 âmes, faisant de ce village une des plus fortes concentrations d’architectes en France, rapporté au nombre d’habitants.
Bonjour Simon Teyssou !
Bonjour.
Prenons l’histoire par le début : racontez-nous votre parcours.
Je suis d’une génération soumise au service militaire. Ce qui pouvait ressembler à une punition s’est avéré être une chance : j’ai intégré le CAUE du Cantal à l’occasion d’un service civique environnement.
J’y ai découvert l’autonomie qu’imposent des moyens limités et acquis mes premières notions de paysagisme et d’urbanisme.
Des notions qui vous sont toujours chères …
Oui ! Mon appétence pour cette matière ne s’est jamais tarie au point que des paysagistes font partie de l’équipe. C’est organisation est une force lorsqu’il faut répondre aux projets d’études urbaines et d’aménagements d’espaces publics dans lesquels le paysage est central.
Vos débuts, parlons-en ! Que se passe-t-il après votre service militaire ?
Je décroche le diplôme à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand en 2000, et dans les mois qui ont suivi j’ai créé l’agence.
A peine diplômé et déjà à la tête d’une agence ?
Un sacré défi et une bonne dose d’inconscience ! (Rires) Les premiers temps, le plan de vol était simple : travailler sur Clermont-Ferrand et consacrer du temps à des projets dans le Cantal.
Plan de vol respecté ?
Absolument … pas. Très rapidement, nous avons cumulé les projets dans la région. A cette époque, les subventions européennes encourageaient les agriculteurs à diversifier leurs activités en développant des gîtes ruraux. Les projets de réhabilitation du patrimoine bâti vernaculaire agricole se sont alors multipliés.
Vous en êtes-vous fait une spécialité ?
Cela m’a permis de lancer mon activité dans le Cantal. Par la suite, le filon s’est tari et nous nous sommes positionnés sur d’autres projets.
En 2011, j’ai saisi l’opportunité qu’offrait une dent creuse dans le centre-bourg du Rouget et ai construit un immeuble dans lequel les locaux de l’agence occupent les deux premiers niveaux. Le reste est à destination de logements.
Vous étiez avant-gardiste !
L’idée était de faire la démonstration que l’on peut habiter un petit immeuble collectif dans un bourg de 1000 habitants, sans avoir besoin d’exercer dans une zone d’activité en périphérie et résider dans un pavillon en périphérie du village.
L’étalement urbain au profit de lotissements m’interroge sur l’avenir que nous souhaitons pour nos paysages, notre agriculture. Les opportunités existent dans les petites centralités.
En 2020, vous êtes lauréat du Grand Prix d’architecture 10+1 pour un projet mené à Mandailles-Saint-Julien. Pouvez-vous nous le présenter ?
Si la Halle a particulièrement retenu l’attention, le projet est finalement assez large et articule des problématiques architecturales, paysagères et urbanistiques. A la réhabilitation de l’ancienne école du village en bâtiment d’accueil pour les sportifs de passage s’ajoutait la création d’une halle et d’un cheminement entre les équipements.
La Halle est devenue la signature du projet parce qu’elle marque les esprits.
Quelles ont été vos inspirations ?
Je suis reparti de la typologie traditionnelle de la grange-étable que l’on retrouve partout dans la vallée. Elle se caractérise par des volumes écrasés par des toitures à forte pente, et des constructions orthogonales à la vallée de telle sorte qu’on entre de plain-pied dans la grange et dans l’étable en mettant à profit la topographie du territoire.
L’histoire locale a également inspiré la toiture. A l’origine, elles étaient recouvertes de chaume avant que ne lui soit préféré l’acier galvanisé. 50 ans après, les plaques ont rouillé et ont fabriqué un nouveau paysage auquel je suis très sensible.
Est-ce que le prix change quelque chose à votre activité ?
C’est une forme de reconnaissance de la part de mes pairs et cela permet parfois d’être mieux identifié auprès de certains maîtres d’ouvrage. Au niveau local, c’est une petite fierté de se dire que nous arrivons à proposer une architecture de qualité et remarquée au cœur d’un territoire rural.
Certaines relations s’en trouvent facilitées et aboutissent à de nouveaux projets dans le Cantal.
Et uniquement dans le Cantal ?
Oui ! Au-delà, les difficultés d’accès à la commande restent les mêmes. Nous rayonnons dans un territoire qui se situe au maximum à 2h30 de l’agence.
Ce territoire, peu dense, mais empreint d’une réelle identité, nous passionne.
N’est-il pas difficile d’attirer des talents au cœur d’un territoire rural ?
Aucunement ! Nous sommes identifiés et avons une pratique qui intéresse particulièrement les jeunes architectes. Nous recevons chaque semaine des candidatures spontanées d’aspirants architectes, rarement originaires du Cantal.
Retour sur les 18 derniers mois entre COVID et municipales. Comment se porte l’activité ?
J’ai pris la décision de ne mettre personne au chômage partiel : un choix parfois difficile à assumer lorsque le chiffre d’affaires se contracte de 25% !
A cela se sont ajoutés les flottements liés aux élections municipales de 2020. La deuxième lame.
La troisième, c’est la pénurie des matériaux qui impacte réellement nos projets. Nous nous retrouvons dans des situations intenables où les chantiers durent 2 fois plus longtemps que prévu et ne génèrent pas davantage de rémunération.
Les maîtres d’ouvrage n’acceptent pas les rallonges ?
Ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient supporter la facture d’un chantier qui s’éternise ! Je peux comprendre que les budgets ne soient pas extensibles …
Malgré tout, de nouveaux projets à l’horizon ?
Oui, et c’est une bonne chose ! Toutefois, il faut être en mesure de tenir entre l’entrée d’une affaire et son règlement. Je suis donc relativement optimiste pour l’avenir même si la hausse des prix est, elle aussi, réelle.
Qu'est ce qui occupe l'esprit lorsque l'on se retrouve à la tête d'une agence d'architecture ?
Plusieurs choses !
Il y a d’abord ce souci permanent de décrocher de nouveaux marchés. Il y a ensuite le maintien de la qualité architecturale, quel que soit le projet, quel que soit le maître d’ouvrage.
Avec tout cela, avez-vous encore le temps d’être architecte plus que chef d’entreprise ?
Je suis pleinement architecte ! La structuration de mon entreprise, le choix de mes associés, tout cela répond d’un impératif : me permettre de concevoir et d’être à l’origine des premières intentions de la grande majorité des projets.
Chaque jour, je dessine. Chaque matin, je suis porté par l’envie de retrouver calques et crayons. C’est une dimension indissociable de ce que je suis, de ce pourquoi j’ai choisi de devenir architecte. L’organisation en agence permet de confier la conception sur Autocad ou sur Revit, tout autant que la réponse à des appels d’offres, à des collaborateurs experts dans ces domaines.
Avez-vous la charge de vos propres suivis de chantier ?
Oui ! C’est une volonté de l’agence de conserver la maîtrise de nos chantiers, et de n’accepter aucun projet pour lesquels cette étape, cruciale, ne serait pas de notre ressort. Cela explique certainement le fait que nous ne travaillons que très peu avec la promotion privée, privilégiant les missions complètes plus fréquentes avec les bailleurs sociaux.
A l’Atelier, nous proposons une architecture en apparence simple mais exigeante, dans laquelle tout est dessiné. Concevoir sans construire serait passer à côté des détails, passer à côté de l’architecture !
L’architecture est dans les détails ?
Oui, clairement ! Mais ce n’est que mon point de vue …
Que seriez-vous devenu si vous n’étiez pas devenu architecte ?
Agriculteur, sans aucun doute. Je trouve beaucoup de points communs entre nos métiers.
Un agriculteur ne dessine pas ses légumes …
C’est exact, toutefois il dessine la manière dont il va transformer l’espace afin d’optimiser ses plantations, d’organiser son parc à moutons, ses bâtiments … Il me semble qu’architectes et agriculteurs partagent une idée : celle de la transformation et du travail du paysage.
Quel est votre premier souvenir d’architecture ?
Je reproduisais des villages à l’échelle de mes Playmobil avec mon frère. Nous construisions de petites maisons en pierres mélangées à de la terre pour lesquelles nous concevions de petites charpentes, recouvertes de chaume.
La plus belle réalisation architecturale selon vous ?
Celle sur laquelle nous travaillons. J’ai sans cesse l’impression de faire quelque chose que je n’avais jamais eu l’occasion de faire avant.
Une vision très optimiste ! Et quelle est-elle en ce moment ?
Un concours pour l’abbaye de Sylvanès, dans l’Aveyron.
Votre plus grande fierté dans le métier ?
La satisfaction de nos maîtres d’ouvrage et des occupants. Récemment, nous avons livré des logements sociaux à 1250 euros le mètre carré. Le bailleur social, propriétaire d’un parc important de logements, nous a confié qu’il y constatait le plus faible taux de turnover.
Ce que cela dit de notre travail est un motif de satisfaction énorme. Cela confirme nos choix et notre volonté de nous écarter des typologies conventionnelles : nous proposons une certaine forme de simplicité, des logements traversants, des salles de bains éclairées naturellement, de grandes terrasses, de petits jardinets quand cela est possible …
La signature de votre parcours sans passage par une agence avant de créer la vôtre ?
Entre autres oui, le tout associé aux territoires sur lesquels nous travaillons : ces zones dites détendues et dans lesquelles les Français se projettent de plus en plus. Ce sont sans doute ces territoires, aujourd’hui en marge, qui seront les plus résilients demain.