Cet article est tiré du webinaire « Pénurie de matériaux : quelles solutions juridiques et techniques ? » réalisé par la MAF le 7 juillet 2021, auquel participaient : Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF ; Cyrille Charbonneau, avocat associé (cabinet Aedes Juris) ; Ludovic Patouret, expert construction (Gecamex) ; et Camille Porretta, juriste à la MAF.
Pénurie de matériaux

L’essentiel

  • Désormais connues, les conséquences de la crise sanitaire sur les marchés de bâtiment doivent être prises en compte dans les nouvelles opérations.
  • Le maître d’oeuvre informe le maître d’ouvrage sur la pénurie de matériaux, sur les risques de dépassement de budget et de retard de chantier ; il propose d’éventuelles variantes dans le respect des objectifs fixés par le maître d’ouvrage.
  • Pour maîtriser le risque de pénurie de matériaux, les contrats entre le maître d’ouvrage et les constructeurs comportent des clauses d’indexation de prix (actualisation ou révision), de renégociation et de suspension de délais.
  • Le maître d’oeuvre signale au maître d’ouvrage l’effet d’aubaine que peuvent générer les fluctuations de prix des matériaux dans les réclamations financières d’entreprises.
  • Dans le cadre d’un marché de travaux, le renchérissement brutal d’un matériau ne doit pas générer un prix nouveau mais peut donner lieu à une indemnité.

 

La crise sanitaire dans un marché mondialisé

La pénurie actuelle de matériaux est à l’origine d’arrêts de chantiers et de réclamations d’entreprises qui ne peuvent laisser la maîtrise d’oeuvre indifférente. Cette pénurie n’est pas seulement la conséquence immédiate de la pandémie du Covid mais également celle des plans de relance de l’activité économique sur les continents américain et asiatique.

Ces plans, qui absorbent beaucoup de matériaux, entraînent des augmentations de prix des produits de construction et d’importants retards d’approvisionnement des chantiers.

En effet, même si les chantiers sont locaux, ils s’inscrivent dans des économies globales totalement mondialisées interdépendantes de continent à continent.

Les constructeurs ont déjà vécu des périodes de surchauffe d’activité dans les années 2005-2007 avec des booms en Chine et au Moyen-Orient. Ces crises ont généré des hausses de prix significatives sur certains matériaux tels que l’acier et le cuivre dans des laps de temps assez courts. La crise est aujourd’hui plus généralisée. Les pénuries et les hausses de prix concernent un plus grand nombre de produits : l’augmentation de plus de 50 % du prix du verre est liée à l’arrêt net des usines de production au plus fort de la crise ; la pénurie d’acier est principalement causée par la Chine, qui l’achète au prix fort au détriment de l’Europe ; de même pour le bois.

Avec un prix moyen de 400 euros/m3, ce dernier a connu pendant quelques mois une hausse à 700 euros/m3 provoquée par le protectionnisme américain et les producteurs européens qui préfèrent vendre leur bois au plus offrant (le marché nord-américain).

En matière de logistique, le prix des conteneurs a doublé du fait du redémarrage brutal de l’économie mondiale. Et cette situation s’étend jusqu’aux puces de microprocesseurs qui permettent de faire fonctionner les systèmes de sécurité incendie et de gestion centralisée des bâtiments.

Si la cause majeure est la crise sanitaire mondiale et le redémarrage plus rapide qu’en Europe des économies chinoise et américaine du nord, d’autres facteurs interviennent. Le doublement du prix des matières plastiques (PVC, polystyrène…) est lié au dérèglement climatique.

Les USA, gros producteurs de pétrole, ont subi des intempéries importantes qui ont fait baisser leur capacité de production parallèlement à l’augmentation de la demande dans le cadre des plans de relance.

Allons-nous devoir modifier durablement notre manière de travailler et de construire pour parer à ces dysfonctionnements du marché des produits de construction ? S’agit-il
d’épiphénomènes liés à la pandémie qui disparaîtront dans un ou deux ans ? Ou bien cette crise a-t-elle vocation, si ce n’est à durer, du moins à se reproduire ?

Les maîtres d’oeuvre doivent désormais convaincre leurs clients d’accepter d’introduire certains mécanismes dans leurs contrats qui permettront de mieux gérer la pénurie de matériaux.

 

Le devoir de conseil au coeur de l'anticipation

Tirons dès maintenant les leçons de l’absence de prévision de cette crise qui n’était pas envisageable avant le 12 mars 2020, date des premières annonces du président de la République pour lutter contre la propagation du Covid-19. Les conditions dans lesquelles les acteurs de la construction travaillent évoluent.

Les maîtres d’oeuvre doivent désormais convaincre leurs clients d’accepter d’introduire certains mécanismes dans leurs contrats qui permettront de mieux gérer la pénurie de matériaux.

En veillant particulièrement à ce que la qualité de l’ouvrage, le budget et le calendrier de livraison de l’ouvrage tiennent des objectifs raisonnables fixés par le maître d’ouvrage.

Ainsi, pour y parvenir, le maître d’oeuvre doit, plus que jamais, remplir pleinement son devoir de conseil pour informer le maître d’ouvrage des risques qui se présentent à lui et des solutions dont il dispose pour en maîtriser les conséquences. Il en va de même pour l’entreprise, qui ne peut ignorer les tensions sur les approvisionnements des matériaux.

Ainsi, les constructeurs doivent adapter leurs actes à cette nouvelle donne. Leur devoir de conseil est au coeur de l’anticipation.

 

Insérer des mécanismes de précaution dans les contrats

Que ce soit le contrat de l’architecte, de l’entreprise ou de l’industriel, la problématique est la même : au moment où le prix est déterminé, la quasi-totalité des marchés est conclue à prix forfaitaire; l’objectif du maître d’ouvrage étant de s’engager le plus tôt possible sur ce que coûtera très exactement l’ouvrage livré. La difficulté réside dans l’évolution du prix entre le moment où il est contractualisé et celui où la prestation est exécutée par l’entreprise1.

Pour parer à cela, le maître d’ouvrage a la capacité de choisir le forfait, et son acceptation par ses cocontractants donne un caractère immuable au prix. Cette règle est simple mais n’est pas vraiment compatible avec l’évolution des prix en période de crise. Il est donc souhaitable que les prix puissent être actualisés ou révisés en marchés privés. Mais attention, même indexés, les prix ne sont pas totalement dépendants des matériaux. Cette notion se retrouve dans la valeur des indices d’évolution du coût de la construction. Dans un marché révisable, les indices de prix ne reflètent pas complètement l’augmentation des coûts des matériaux.

 

Rappelons les 3 points particuliers sur les indices :

 

  1. le coût des matériaux n’est pas le coût de la construction (il représente entre 30 et 40 % du coût de l’ouvrage) ;
  2. les indices de prix ne reflètent pas l’exacte évolution des prix des matériaux ;
  3. les indices de prix qui figurent dans les marchés publics ou privés ne sont pas actualisés dans un délai assez court pour répondre à la flambée actuelle des prix de construction (certains isolants minces de toiture ont récemment augmenté de 45 % en trois mois).

 

Il y a plusieurs raisons à cela :

  • L’effet de décalage dans le temps (les indices BT et TP sont publiés avec un décalage de trois mois et, dans ce laps de temps, le marché des matériaux peut évoluer rapidement) ;
  • La part des matériaux dans la décomposition des indices de prix varie selon le corps de métier.

Ainsi, par exemple, cette part est d’environ 30 % dans le BT 06 de gros oeuvre ; elle atteint jusqu’à 45 % dans les corps de métiers techniques où les matériaux sont plus coûteux. Il en résulte que la fluctuation des prix en chauffage-ventilation-climatisation, plomberie, électricité, a une incidence plus importante sur le coût des travaux.

Ainsi, l’augmentation de 50 % du prix du cuivre ne se répercute que sur 45 % du coût des travaux.

Autant dire que le maître d’oeuvre doit surveiller de près l’effet d’aubaine que génèrent les fluctuations des prix des matériaux pour certaines entreprises. cf. encadré « les 3 points particuliers sur les indices ».

  • La clause d’indexation des prix évite a minima que la tension ne s’installe entre le moment de la signature du contrat et celui où l’entreprise réalise les travaux. Ces clauses – en marchés de maîtrise d’oeuvre comme en marchés de travaux – adaptent les termes du contrat à l’évolution d’une situation factuelle objective. Rappelons qu’en marchés privés, les clauses d’indexation du prix n’étant pas obligatoires et rarement utilisées, le prix de construction est celui du contrat en leur absence. L’entrepreneur qui constate une augmentation du prix de 40, 50… 100 % au moment de passer sa commande de matériaux n’a plus qu’à solliciter la compréhension du maître d’ouvrage pour obtenir une rallonge financière.
  • La clause de renégociation (« hardship » dans les pays anglo-saxons) permet aux parties de déterminer un seuil de variation du prix au-delà duquel elles s’obligent à renégocier leur contrat. Ce type de clause est adapté aux grands bouleversements sur les prix et les délais tels que nous les connaissons actuellement.

Il y a ici deux points particuliers :

  • La fixation du seuil à 10, 15 %... compte tenu du fait qu’il y a toujours une part d’aléa dans la fixation d’un prix.
  • Les modalités de renégociation, notamment en l’absence d’accord entre les parties : saisine d’un tiers expert, d’un médiateur ou d’un juge, résiliation du marché, etc.
  • La clause de suspension de délai tient compte de l’évolution de la temporalité des prestations. En marchés publics comme en marchés privés, cette clause ne pose aucune difficulté parce que la Cour de cassation et le Conseil d’État admettent la validité de la clause de suspension de délai liée à des événements objectifs tels que climatiques ou de disparition d’une entreprise. Il faut simplement ajouter un cas supplémentaire prenant en compte les conséquences d’une pénurie de matériaux.

Deux points sont à souligner dans la rédaction de cette clause :

  • L’indication de l’événement qui détermine la suspension de délai, tel que la pénurie ou l’augmentation du coût rendant impossible l’achat du matériau ;
  • La justification du cas et sa preuve (pour l’événement climatique, c’est le bulletin de Météo France qui certifie les intempéries).

Soulignons que la pénurie ou l’augmentation du prix du matériau est une problématique privée entre l’entrepreneur et le fabricant sur laquelle la visibilité du maître d’oeuvre est faible. Elle va le contraindre à demander des pièces justificatives à l’entreprise pour attester la nature de la commande et le calendrier dans lequel elle a été passée.

Attention, le maître d’oeuvre doit distinguer les faits extérieurs à l’entreprise de ceux qui relèvent de sa mauvaise gestion.

Ainsi, une pénurie ou une grève qui débouchent sur une multitude de problèmes pratiques, tels que la nécessité de prévoir un acompte pour la fourniture de matériaux, une aire de stockage spécifique sur le chantier, une souscription à une police d’assurance contre le vol… , n’ont pas le même impact en matière de responsabilité qu’un défaut de gestion de chantier par l’entreprise (une commande tardive, par exemple).

Revenons au marché à forfait sans clauses spécifiques : des mécanismes juridiques permettent de sortir de la situation née des variations de prix et de temps liées aux pénuries de matériaux.

 

Trois mécanismes contractuels permettent d'agir sur le prix et le délai :

 

  • La clause d’indexation des prix,
  • La clause de renégociation,
  • La clause de suspension de délai.

 

La théorie de l'imprévision et la force majeur

  • La théorie de l’imprévision permet de dire que les parties peuvent modifier leur accord lorsqu’un phénomène, imprévisible par essence, vient bouleverser l’équilibre économique du contrat. Cette théorie connaît deux traductions très différentes en droit public et en droit privé :
  • En droit public, cette théorie est obligatoirement dans le contrat. Tout marché public comporte nécessairement une clause implicite et légale liée à l’imprévision donnant droit à une indemnisation de l’entreprise et éventuellement du maître d’oeuvre. Cette indemnisation compense l’écart entre ce qui est convenu dans le contrat initial et ce qui est finalement la réalité. La part d’aléa nécessairement admise dans le contrat étant de 10 %, l’imprévision se situe au-delà du seuil de 10 % (l’indemnité est la différence entre le coût objectif du dépassement et le seuil de 10 %).
  • En droit privé, cette théorie est récente. Depuis 2016, l’article 1195 du Code civil permet d’introduire des mécanismes pour pallier l’imprévision dans les contrats : le maître d’oeuvre ou l’entreprise peut demander une renégociation ; si le maître d’ouvrage la refuse, le maître d’oeuvre ou l’entreprise peut faire appel au juge pour obtenir soit la modification du prix, soit la résiliation du marché. Toutefois, face à une augmentation subite du prix d’un matériau, cet article est difficilement applicable compte tenu du fait que le maître d’oeuvre mais surtout l’entreprise doivent poursuivre l’exécution du marché tant que le juge n’a pas rendu sa décision. Retenons, d’une part, qu’en marchés privés l’imprévision pose une difficulté pratique en l’absence d’indemnité, et d’autre part, que cet article du Code civil n’est pas d’ordre public (pas obligatoire) et que les maîtres d’ouvrage professionnels peuvent l’écarter par la voie contractuelle.

La force majeure nécessite la réalisation de trois conditions : l’irrésistibilité, l’extériorité et l’imprévisibilité. L’irrésistibilité renvoie au seuil au-delà duquel la situation n’est plus supportable pour l’acteur économique, au-delà de l’aléa ; l’extériorité est le fait que l’événement est totalement indépendant du contractant ; quant à l’imprévisibilité, elle est plus difficile à démontrer pour la pénurie des matériaux, en particulier depuis l’annonce des premières mesures gouvernementales contre la pandémie le 12 mars 2020.

Toutefois, reconnaissons que la pénurie totale d’un matériau est difficilement prévisible.

La force majeure se plaide devant le juge en lui montrant notamment que tout ce qui devait être fait pour prévenir cette situation l’a bien été, par le maître d’oeuvre comme par l’entreprise.

Rappelons que le corollaire direct de la prévisibilité est le devoir de conseil, c’est-à-dire la trame de fond sur laquelle le maître d’oeuvre intervient pour expliquer ce qui est à faire pour prévenir le risque, quel que soit le stade d’avancement du projet. À toutes les phases de l’opération, le maître d’oeuvre exerce son devoir de conseil en fonction de la situation en cours.

La pénurie de matériaux ne peut être dissimulée et doit être abordée avec souplesse, par la discussion et la négociation. Face à une situation inédite par son ampleur, l’ouverture d’esprit est de mise.

La force majeure nécessite la réalisation de trois conditions : l’irrésistibilité, l’extériorité et l’imprévisibilité.

 

Pour en savoir plus...

 

« Pénurie de matériaux : quelles solutions juridiques et techniques ? » en ligne dans votre espace adhérent ;

  1. « Pénurie de matériaux » : document élaboré par la MAF, sous la direction de Michel Klein, avec la collaboration de Cyrille Charbonneau, avocat, Ludovic Patouret, expert construction, et Camille Porretta, juriste à la MAF;
  2. Fiche technique « Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières » de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, dans votre espace adhérent.

 

Des conseils aux maîtres d'oeuvre

Au stade de la contractualisation :

  • Dans un marché privé, l’architecte qui élabore une étude de faisabilité pour la construction d’ d’une maison en bois doit informer le maître d’ouvrage des tensions sur les prix et sur l’approvisionnement du bois. Il propose d’adapter le projet à un autre matériau.
  • L’architecte cherche à aménager, voire à supprimer, les pénalités associées au seuil de tolérance si le coût d’objectif peut être dépassé à cause d’une hausse brutale du prix d’un matériau. De même pour les clauses concernant le délai en phase de conception, comme en phase d’exécution.

Au stade des études APS-APD-PRO-DCE, le maître d’oeuvre poursuit son « exercice d’anticipation ». Il propose éventuellement d’autres matériaux que ceux qui étaient initialement envisagés, un mode constructif alternatif, une consultation d’entreprise avec variantes... en veillant au respect des objectifs énoncés par le maître d’ouvrage et des règles de l’art.

Dans tous les cas, la démarche du maître d’oeuvre reste transparente pour le maître d’ouvrage avec une traçabilité écrite qui peut être rappelée lors d’un dépassement de budget.

Le résultat d’appel d’offres peut toujours donner lieu à une discussion approfondie avec les entreprises, voire à une nouvelle consultation pour tenter de contenir les coûts et les délais dans des limites raisonnables.

Élément contractuel déterminant en période de pénurie, le calendrier des travaux nécessite une réflexion approfondie, en particulier sur l’identification des tâches critiques pour mettre le bâtiment hors d’eau, hors d’air, etc. Il s’élabore idéalement avec un délai d’études, un délai de visa, un délai de prototype, un délai de commande et un délai de livraison sur le chantier (les délais d’approvisionnement étant masqués par ces délais successifs).

Le maître d’oeuvre examine le calendrier avec le coordonnateur OPC dans le but d’anticiper les approvisionnements critiques avec une certaine souplesse. Il veille à l’effet d’aubaine que constitue tout changement futur pour l’entreprise.

Dans tous les cas, la reprise d’études par l’architecte et les bureaux d’études doit donner lieu à une nouvelle discussion sur les honoraires. C’est à eux d’en prendre l’initiative.

La pénurie des matériaux ne doit pas être le prétexte à l’approximation sur les délais et les coûts. Bien au contraire, le maître d’oeuvre reste vigilant quant aux propositions des entreprises opportunistes qui cherchent à masquer leur manque d’organisation et parfois leur incompétence. Plus que jamais, les propositions et les réclamations d’entreprises s’analysent avec rigueur afin d’éclairer le maître d’ouvrage sur les bons choix qui s’offrent à lui.

Attention, le renchérissement brutal d’un matériau ne doit pas s’inscrire dans le cadre de prix nouveau, mais plutôt dans une logique indemnitaire (comme en marchés publics). Gardons à l’esprit que les maîtres d’ouvrage vont être prochainement confrontés à des réclamations d’entreprises, parfois sous la forme de chantage.

 

Questions d'architectes et réponses de la MAF

Devoir de conseil

Comment aborder les conséquences de la pénurie avec un maître d’ouvrage limité dans le financement de l’opération ?
 

La jurisprudence confirme l’obligation de conseil sur la faisabilité financière du projet. Le maître d’oeuvre doit, dans la limite de ce qui peut être anticipé, informer son client sur l’évolution possible de son budget au regard de l’utilisation de certains produits de construction.

En cas d’arrêt de chantier dû à un matériau, le maître d’oeuvre doit pouvoir démontrer qu’il a correctement informé le maître d’ouvrage du risque de pénurie.

Retenons qu’il est possible que des chantiers s’arrêtent d’ici à quelques mois, non à cause des approvisionnements, mais plutôt à cause du financement limité de l’opération. Avec les conséquences collatérales pour les maîtres d’ouvrage et les constructeurs.

Devoir de Conseil : « Dans la limite de ce qui peut être anticipé »

 

Ecrire pour se protéger

Certains promoteurs font du prix de l’ouvrage une obligation de résultat : les maîtres d’oeuvre qui travaillent avec eux sont-ils en danger ?

Lors de la négociation de leur contrat, les maîtres d’oeuvre doivent refuser toute clause leur imposant une obligation de résultat, en particulier sur le prix et les délais. Une réponse écrite négative du promoteur permet ultérieurement de demander au juge de requalifier le contrat en « contrat d’adhésion ».

Depuis 2016, c’est déterminant pour que le caractère abusif de la clause soit reconnu par le juge.

Cette solution de rééquilibrage du contrat par le juge n’a pas encore donné lieu à une jurisprudence, mais c’est un nouvel outil juridique qu’il ne faudra pas négliger en cas de fort déséquilibre contractuel en faveur du maître de l’ouvrage.

 

Intelligence pratique
 

Quelle doit être la réaction du maître d’oeuvre si l’entreprise refuse de poursuivre les travaux parce que son marché n’est pas revalorisé ?

L’entreprise n’a pas le droit de refuser d’exécuter les travaux. En marchés privés, le maître d’oeuvre rappelle à l’entreprise son obligation de résultat, les pénalités de retard et la possibilité de résiliation du marché à ses frais et risques. Parallèlement, le maître d’oeuvre doit faire preuve « d’intelligence pratique ».

Il propose éventuellement au maître d’ouvrage le remplacement du matériau qui fait défaut ou la relance d’une consultation d’entreprises pour mesurer l’impact réel de la pénurie.

Il peut également proposer au maître d’ouvrage de négocier avec l’entreprise sur la base de ce qui se fait en marchés publics : l’entreprise prend à sa charge l’aléa estimé à 10 %, et le maître d’ouvrage indemnise à hauteur du reste du dépassement.

Rappelons que le maître d’oeuvre peut être amené à éclairer son client sur les possibilités qui s’offrent à lui en termes de coûts, de délais et de qualité de l’ouvrage, et c’est au maître d’ouvrage d’en décider.

En marchés publics, le maître d’oeuvre propose au maître d’ouvrage de suivre les instructions mentionnées dans la fiche technique de la DAJ (voir le « Pour en savoir plus » au-dessus).

 

Traçabilité renforcée

L’entreprise se sert de la pénurie de matériaux pour augmenter exagérément ses prix et ses délais : comment le maître d’oeuvre peut-il déjouer la tentative de tromperie ?

Le seul moyen de détecter cette tentative est de décortiquer le calendrier des travaux et de reconstruire la chronologie des faits pour identifier les incohérences dans les réclamations de l’entreprise. Pour cela, le maître d’oeuvre demande à l’entreprise d’apporter la preuve de la commande de matériaux : à quel fabricant et quand ?

C’est le bon moyen pour disposer d’éléments objectifs qui permettent de montrer la tentative de supercherie. Cela revient à opérer avec le coordonnateur OPC une traçabilité pour gérer au jour le jour les actes de l’entreprise.

Pour le maître d’oeuvre, il s’agit d’identifier le fait générateur de la réclamation, tel qu’un manque de diligence de l’entreprise dans sa commande de matériaux, pour en déterminer l’imputabilité.

Parallèlement à cette problématique, il est intéressant de noter que, dans les sinistres répertoriés, la connaissance des produits de construction devient peu à peu aussi importante que leur mise en oeuvre. Et cela pour que les recours contre les fabricants puissent être réalisés. L’absence de traçabilité sur les composants d’un bâtiment est de moins en moins pardonnée aux constructeurs.

 

Réclamer sans attendre

La pénurie de matériaux peut-elle amener les maîtres d’oeuvre à renégocier leurs honoraires ?

Oui, et c’est à eux d’en prendre l’initiative. En phase de conception d’un marché privé, la pénurie de matériaux peut entraîner la remise en cause du projet. Soit à cause du coût principal du matériau prescrit, soit à cause du retard prévisible de sa fourniture. Dans ces cas-là, les maîtres d’oeuvre veillent à ce que le maître d’ouvrage leur demande par écrit de retravailler le projet. Sans cette traçabilité de la commande, les nouvelles études ne peuvent donner lieu à une rémunération supplémentaire.

Pour un marché public, le maître d’oeuvre doit apporter la preuve de la cause extérieure et imprévisible générant un surcoût d’études (théorie de l’imprévision ou force majeure). Rappelons que l’allongement de la durée d’exécution des travaux ne génère pas automatiquement une augmentation des honoraires. Le maître d’oeuvre doit donc réagir rapidement – dès qu’il a conscience du décalage du calendrier – s’il souhaite renégocier sa rémunération.

 

Médiation sans obligation de résultat
 

L’entrepreneur qui a passé commande peut-il être tenu pour responsable si le fabricant ne livre pas le matériau dans les temps ?

L’entrepreneur qui n’a pas négocié de clause de suspension de délai liée à un défaut d’approvisionnement extérieur en supporte les conséquences.

Cette question doit être réglée entre l’entrepreneur et le fabricant (comme dans le cas où le produit livré est atteint d’un vice). Sauf si la force majeure est retenue par le juge.

Dans ce cas, c’est aussi un cas de force majeure pour l’entreprise, opposable au maître d’ouvrage.

De son côté, le maître d’oeuvre peut tenter de faciliter la recherche d’un terrain d’entente entre l’entreprise et le maître d’ouvrage, sans obligation de résoudre le problème.

 

Variantes à risques

En période de pénurie, faut-il renoncer aux contraintes programmatiques fortes sur les matériaux ?

Il peut être opportun d’introduire des variantes sur un matériau et un procédé constructif dans le projet. Plus le maître d’oeuvre tarde à le faire, plus c’est problématique pour lui au regard de l’impact sur le projet. Rappelons que la variante ne dispense pas du respect des objectifs de résultats fixés en amont (thermique, acoustique, etc.).

Ainsi, si l’ouverture aux variantes est souhaitable, elle doit se faire dans un champ précis d’objectifs à respecter. Il est possible de laisser une part de conception technique aux entreprises en veillant toujours à ce qu’elle soit encadrée par des objectifs précis (réglementation, label, etc.). La prescription d’un produit de construction « ou équivalent » doit être encadrée par un objectif chiffré précis.

Le maître d’oeuvre veille à ce que les promesses contractuelles – telles qu’un descriptif VEFA qui conditionne la conformité de ce qui doit être vendu à l’acquéreur – soient tenues.

Les variantes doivent être cohérentes avec les promesses faites très en amont du projet.

En particulier lorsqu’elles interviennent en cours d’opération et que le maître d’oeuvre a peu de temps pour examiner à fond toutes les répercussions sur le projet.

Les propositions opportunistes sur les produits de construction des entreprises qui augmentent leur marge servent rarement l’objectif du maître d’ouvrage.

 

Facteur d'aléa

Comment conseiller un promoteur qui a déjà vendu son programme en « VEFA secteur protégé » dans lequel il n’est pas possible de faire varier le prix ?

Dans un programme au financement figé, le promoteur doit intégrer un facteur d’aléa dans son prix de vente.

Cet aléa peut être fixé avec le concours du maître d’oeuvre, qui l’a alerté sur l’instabilité du prix des matériaux.

En revanche, en « VEFA secteur protégé », aucun texte n’impose au promoteur de verser des pénalités de retard en cas de retard de livraison. Il est donc possible de reporter la date de livraison.

Cependant, en pratique, l’acte de vente en VEFA prévoit l’application de pénalités de retard sauf en cas de cause légitime du retard (intempéries, liquidation judiciaire d’une entreprise...) et/ou de force majeure ; reste à savoir si la pénurie de matériaux constitue un cas de force majeure dont peut se prévaloir le vendeur pour justifier l’allongement du délai de livraison.

 

1. Le Code de la commande publique précise que l’on ne peut pas prévoir de prix fermes si l’on estime que les prestations sont exposées à des aléas majeurs (on sait que les prix vont évoluer dans la période d’exécution). En marchés publics, les prix sont révisables.