Pour trouver MWAH, il faut prendre la direction de la Normandie. Alors que s’éloigne la rumeur incessante de la région parisienne se profile l’agence. Bienvenue à Vernon, son centre historique, sa tour des Archives, son Château de Bizy, et au milieu la Seine. Une rive dans les Yvelines, l’autre dans l’Eure.
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Là-bas, nous avons échangé avec Etienne Lemoine. Architecte depuis 28 ans, il est à la tête d’une agence de 10 collaborateurs, la sienne : MWAH agence d’architecture. 

De quoi est fait son quotidien ? Comment conçoit-il l’architecture ? Les menaces du quotidien ? C’est parti pour un nouvel épisode de MAF & VOUS !
 

1.    Avant de commencer, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis diplômé de l’ENSA Paris-La Villette en 1992. Rapidement, j’ai pris la décision de m’installer en tant qu’indépendant. Ce que j’ai fait, en 1994.
 

2.    Indépendant mais pas seul ! 
Effectivement, nous sommes aujourd’hui 10 collaborateurs, dont 8 architectes, organisés autour de 3 pôles : Recherche, Conception et Réalisation. Ensemble, nous intervenons principalement au cœur d’un territoire, l’Eure en Normandie.

La commande émane des collectivités locales, pour lesquelles les échelles et les moyens existent principalement sous la forme de la réalisation de groupes scolaires et, plus rarement, de gros équipements. De fait, notre équipe est pensée pour s'articuler à cette double commande.
 

3.    MWAH agence d’architecture, ce n’est pas banale comme nom … ?
C’est une longue histoire ! 
 

4.    Nous avons justement tout notre temps. 
Lorsque l’on débute, il est particulièrement compliqué d’accéder à la commande. C’était vrai dans les années 90, ça l’est peut-être davantage aujourd’hui. 

La contrainte est bien souvent la même : un passage par des agences déjà implantées ou la participation à des concours d’idées afin d’étoffer le CV. J'ai préféré tenter de m'installer rapidement. 

Indéniablement, il a fallu se satisfaire, les premiers temps, d’affaires très modestes pour mettre le pied à l’étrier. Un projet en amenant un autre, chaque fois un peu plus important, c’est petit à petit que nous avons pu passer à l’échelle supérieure. 

Je dirais qu'il y a eu une première phase d'apprentissage, puis une seconde durant laquelle nous avons commencé à assumer une position et plus montrer notre production.

Les choses ont notamment changé lorsque nous avons entamé des formations ISO 9001 et 14001, et par le fait que l’on s’est adonné à un travail d’introspection, d’analyse de l’agence.
 

5.    Effectivement, elle est longue cette histoire ! 
Et encore, nous n’en sommes qu’aux années 2009/2010 ! (Rires)

Le processus d’analyse et d’introspection enclenché, il a fallu mettre en place une méthodologie. Et quelle meilleure méthode que celle que nous connaissions le mieux : l’analyse de l’agence comme s’il s’agissait d’un programme architectural.

Ce travail a donné lieu à un ouvrage de 400 pages, toujours en cours d’écriture et de mise en forme : « Tentative d’épuisement d’une agence d’architecture » dont nous travaillons à la publication.

Concrètement, nous sommes repartis de données collectées et de tonnes de datas en tout genre, analysées sur la période 1995-2012, sur la constitution d'une agence d'un point de vue juridique, économique, structurel, humain, etc …
 

6.    De quels types de données parlons-nous là ?
C'était une des questions : temps passé sur chacun de nos projets, répertoire de leurs emprises géographiques, généalogie de nos affaires, ratios d'affaires abouties ou non, présence dans les média, structuration interne de la conception, outils associés, … Comment peut-on regarder l'objet "agence" sur une période de production de 15 années ?
 

7.    Et delà, vous vous êtes dit : appelons l’agence MWAH agence d’architecture ?
Presque … mais il manque encore une étape ! Nous avons croisé toutes ces informations et nous avons ainsi pu faire émerger un devenir pour notre agence. Prises isolément, ces données ne disaient pas grand-chose. Recoupées entre elles, on voyait s’écrire l’ADN même de notre travail, son rayonnement, sa « trace ». 

Dans un cercle de 25 km de rayon, au cœur d’un territoire en plein renouveau, nous avons réussi à créer et faire vivre une agence qui défend quelque chose. Elle répond à une commande qui s’inscrit dans une sorte de filiation de projets, hors concours, par une forme de bouche à oreille. 

L'architecture, telle que nous la pratiquons, se nourrit des gens, des participants aux projets. Le dire est une chose, le voir, le comprendre au travers du chemin parcouru à l’occasion des quinze dernières années en est une autre. 

Cela explique aussi notre vision du travail à l’agence, notre attachement à la pratique et à sa transmission, aux questions autour de la réalisation, à cette volonté de relier la main et la tête. 

C’est ainsi qu’est né le réel projet architectural de l’agence et pour l’incarner nous avons décidé de la renommer. MWAH s’est imposé pour des raisons plus … intimes.
 

8.    Cette architecture que vous racontez, de l’ici et du maintenant, est-elle opposée à l’architecture du nom prestigieux, de la star, de la signature ?
Je crois que nous ne pratiquons tout simplement pas la même architecture. Nous nous attachons à valoriser des savoir-faire locaux, jamais hors-sol. Nos projets, nos interventions s’inscrivent toujours dans une économie locale propre au territoire sur lequel elle se joue, avec des acteurs, des élus, des clients, qui attendent quelque chose de la réalisation qui n'est peut-être pas la même attente que l'idée de signature telle que vous la nommez.
 

9.    Qu'est ce qui occupe l'esprit lorsque l'on est à la tête d'une agence d'architecture ?
Le tiraillement entre deux choses : l’architecte et la gestion d'une entreprise. 

Il faut trouver le point d’équilibre entre les deux. Si l’on n’écoute que l’architecture, on passerait potentiellement trop de temps sur les projets. A l’inverse, la gestion d’entreprise requiert un contrat et une organisation pour répondre à une économie d’agence qui soit la plus solide possible : une pratique bicéphale où cohabitent la nécessité de préparer l’avenir au travers d’une gestion rigoureuse, et en même temps un projet d’agence et un point de vue sur l'architecture.
 

10.    Sans transition : si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous pu devenir ? 
J’ai pensé, un temps, à être archéologue, ou du moins, avoir une activité en rapport à l’histoire et au terrain.
 

11.    Et si je vous demandais votre premier souvenir d’architecture ?
Je crois le devoir à mon père. Lors de nos vacances, il attachait une grande importance à la visite systématique des églises romanes primitives. On en trouve beaucoup en France, notamment en Normandie. A chaque fois, il s'agit d'une architecture épurée, très cohérente, n’ayant recours qu’à un ou deux matériaux de construction différents.
 

12.    Quelle serait la plus belle réalisation architecturale ?
Une architecture consciente de ses moyens de production et de leurs conséquences humaines, territoriales mais aussi économique et écologique. Mais il ne s'agit pas d'une histoire de signature.

Prenons l’exemple des séchoirs à tabac comme on peut en découvrir en Dordogne. Ces bâtiments ne sont pas dessinés. Pour autant, ils répondent totalement au besoin. C’était une époque, ou l’architecte n’existait pas en tant que tel, mais était partie intégrante du travail de bâtisseur.
 

13.    La fameuse association de la tête et de la main évoquée plus haut ? 
Exactement.
 

14.    Votre plus grande fierté dans le métier ? 
La plus grande fierté tient davantage dans la pratique que dans l’achèvement. La fierté que j’éprouve, c’est celle du partage avec les compagnons sur les chantiers, lorsqu’ils redeviennent un territoire de questionnement et d’expérimentation. Ce dialogue est l’aboutissement du projet, ce moment où l’on confie notre dessin à quelqu’un qui va le construire pour nous, en dialogue avec nous.
 

15.    Une fierté qui puise sa force dans le partage … 
Oui. Nous ne sommes pas dans le geste architectural. Ce n’est pas comme cela que l’on conçoit notre métier, nous nous efforçons d’adopter une démarche de passeur. Le chantier est un lieu particulièrement important à nos yeux, où les idées prennent corps et laissent une trace. Cette empreinte c’est le bâtiment. Nous aimons l'idée que cette construction collective qu'est un bâtiment soit par la suite un potentiel d'usage pour tout le monde.