MAF & Vous revient sur le parcours d'un architecte, explique son quotidien et esquisse l’avenir. Découvrez notre nouveau numéro réalisé avec Thomas Brassat, fondateur de l’agence toulousaine Architecture & Technique.
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MAF AssurancesLorsque Thomas Brassat parle d’architecture, il parle d’esthétique, un peu, et de technique, beaucoup. Un discours à l’image de son parcours qui le conduit vers le génie civil avant de découvrir l’architecture : « quand je dessine quelque chose, je sais comment ça tient ». 

De ses projets dans les restaurants et bars toulousains aux bâtiments conçus pour les entreprises de l’aérospatiale, il se fixe un cap : allier fonctionnalité et élégance. 

 

Bonjour Thomas, vous êtes co-fondateur et dirigeant de l’agence Architecture & Technique, basée à Toulouse.

Absolument ! Nous sommes quinze collaborateurs, dont 8 architectes. Nous occupons notre temps entre la réalisation de bâtiments d’activité et de logements. Des typologies différentes qui nous permettent de nous confronter à tous types de maitres d’ouvrage et de contraintes.

 

Ce nom, Architecture & Technique, c’est un clin d’œil à votre parcours ?

En partie oui ! J’ai découvert l’architecture par l’ingénierie : j’ai réalisé mon stage de fin de DUT Génie civil en agence. Je me suis alors inscrit en école d’archi tout en continuant de travailler quand les cours me le permettaient. 

 

Et puis l’envie de voler de vos propres ailes … 

Le diplôme en poche, je suis naturellement passé à temps plein auprès de celui qui m’avait fait confiance et accompagné lors de ma formation. Au bout d’un an, le sentiment d’être arrivé au bout du voyage est devenu de plus en plus pesant.
De rencontres en opportunités je me suis finalement associé en 2007 et j’ai fondé Architecture & Technique qui est, pour enfin répondre à votre question, un clin d’œil à mon parcours ainsi qu’un jeu sur les initiales des associés. 

 

Une agence et 2 associés ?

Le pacte d’associés n’aura tenu que quelques temps : si nous étions deux à l’origine, je suis seul aux commandes depuis 2012.

 

Quel bilan tirez-vous de l’année 2020 ?

Décevant, forcément. Avec un résultat inférieur de 10% à ce qui était initialement prévu, nous sauvons les meubles mais mettons fin à une dynamique de croissance à 2 chiffres installée depuis 8 ans. 

Parce qu’il nous a fait perdre 2 gros chantiers, le premier confinement a été le plus terrible. A cela s’est ajoutée la perte drastique d’efficacité qu’il a impliqué … 

 

Vous n’êtes pas le premier architecte à évoquer la difficile adaptation de la profession au télétravail … 

Nos métiers sont faits de rencontres, de dessins, de partage et d’échanges ! Tout cela est impossible, ou très compliqué, lorsque nous sommes confinés. L’autre problème réside dans l’équipement. Nos logiciels requièrent des machines puissantes et une bande passante conséquente.

Deux raisons qui, conjuguées, nous on fait perdre beaucoup de temps. 

 

Comment voyez-vous l’année 2021 ?

Paradoxalement, excellente ! Les temps de passage actuels nous indiquent une augmentation de 40% de notre chiffre d’affaires par rapport à 2020. 

Difficile de l’expliquer ou de comprendre quoi que ce soit en ce moment, mais je vois tout de même plusieurs facteurs. Je crois qu’après une année calme, les entreprises se remettent à investir. 

Il me semble aussi que notre mobilisation de l’an passé porte ses fruits : stressé par la baisse d’activité, j’ai redoublé d’énergie pour gagner de nouveaux projets. L’heure est venue de les réaliser ! 

 

Prévoyez-vous de recruter pour faire face à la croissance de votre activité ?

C’est là le dilemme que mes confrères connaissent aussi bien que moi : embaucher des collaborateurs pour faire face à un surplus d’activité, qu’il faudra ensuite alimenter en projets et payer, ou bien augmenter les cadences avec l’équipe actuelle. 

Pas toujours simple de placer le curseur au bon endroit !

 

Une fois ces décisions prises, vos tâches de gérant, de commercial, de responsable RH, et que sais-je encore, accomplies … Vous reste-t-il du temps pour être architecte ?

Très peu ! Trop peu ! Je dirige, j’oriente, je participe à des réunions de travail avec les architectes de l’agence, mais je n’ai plus le temps de concevoir.

 

Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre profession ? 

Chef d’entreprise ou architecte ? (Rires)

C’est une vaste question à laquelle il n’est pas simple d’apporter une réponse unique. Toutefois, je constate une défaillance, une inadéquation qui nous porte préjudice : la formation. A mesure que le secteur de la construction se complexifie, administrativement ou techniquement, il nous est demandé d’être de véritables polytechniciens du bâtiment. Tantôt graphistes et designers, tantôt sociologues et juristes, le tout avec de solides connaissances administratives et techniques. 

Ne nous y trompons pas, c’est de cette diversité que naît la passion qui m’anime chaque jour. Je reproche en revanche aux cursus actuels de survoler ces notions pourtant essentielles à notre profession. 

 

Vous plaidez pour des cursus se rapprochant de ce qui se fait en Espagne ?

D’une manière générale, il me semble que le modèle espagnol est riche d’enseignements à bien des égards ! Pour ce qui est de la formation, parlez avec des étudiants qui ont suivi des cours en Espagne et ils vous le diront : ils sont à la fois ingénieurs et architectes. 

 

La formation est donc la racine de tous les maux ?

Malheureusement non ! Le dumping est également un réel souci. Combien de fois se voit-on proposer des taux de rémunération à 5% ? Au prix de quels efforts arrivons-nous à des seuils acceptables ! Je m’échine parfois pour gagner 1%.

C’est une négociation permanente qui fait partie intégrante du métier.

 

Vers quoi doit tendre le modèle architectural français selon vous ?

Je crois beaucoup à ce que proposent les anglo-saxons et leurs agences où tout est intégré, de la promotion à la commercialisation en passant par la conception et les bureaux d’études. 

Cette pluridisciplinarité réunie sous la même bannière est un modèle à la faveur du travail des architectes. Appliquée en France, je crois qu’elle mettrait fin à cette jungle dans laquelle les intérêts de la maîtrise d’œuvre sont souvent bien mal représentés. 

Il me semble aussi que l’apparition des « maîtres d’œuvres » est une menace sur des missions que l’on a perdues, nous, architectes. 

Dangereuse orientation que celle qui consiste à éloigner le concepteur du chantier selon moi...

 

Si je résume, l’avenir se profile entre pragmatisme et pessimisme …

Et optimisme bien sûr ! Nous exerçons un métier formidable qui nous permet d’être à la fois manager, pédagogue, sociologue, ingénieur, graphiste … Je mets quiconque au défi de trouver une autre profession qui regroupe tout cela ! 

 

Je ne vais pas m’y risquer ! Quel est votre premier souvenir d’architecture ?

L’abbaye Sainte-Foy de Conques dans l’Aveyron. L’édifice en lui-même est incroyable, mais depuis que Pierre Soulages en a refait les vitraux, l’ensemble confine au sublime. 

 

Et la plus belle réalisation architecturale ?

Sans trop de doute je dirai le Musée Guggenheim de New-York par Franck Lloyd Wright. Je le trouve d’une intelligence folle ! L’équilibre proposé entre mise en avant des œuvres, fonctionnalité et architecture … C’est du génie.

J’aime aussi beaucoup le travail de Zaha Hadid. 

 

Quelle est votre plus grande fierté dans le métier ? 

D’être encore là 15 ans après m’être lancé ! 

Mais si votre question porte davantage sur l’architecture, c’est une réalisation en marge de la production habituelle de l’agence. Sollicité par un client dans le cadre d’un projet familial, il m’appelle au secours car il vient de perdre l’œuvre d’une vie : son haras en région bordelaise vient de partir en fumée quelques semaines plus tôt. 

Ce n’était pas le plus gros chantier, ni le plus gros bâtiment, et cette réalisation ne sera jamais publiée mais cet homme de 70 ans a retrouvé ses chevaux et m’a dit toute la joie qui était la sienne. C’est le genre de projet qui donne tout son sens à ce que l’on fait.