Une femme, d'abord. Etudiante, Maud Caubet découvre sur le banc des Beaux-Arts que l'ouverture à l'autre et le décloisonnement sont les meilleurs remparts contre la "pensée unique" qu'elle combat. Une vision qu'elle affûte à l'Ecole Polytechnique Royale d'Architecture de Stockholm.
Une architecte à la tête de sa propre agence, ensuite. Avec sa vingtaine de collaborateurs, rien ne l'arrête : Réinventons la Métropole, une première fois. Réinventons la Métropole une deuxième fois. Un écoquartier à Dijon, la rénovation de la Tour Initiale de la Défense, la réhabilitation d'anciens locaux industriels à Pantin, un hors-série dans "Architecture Aujourd'hui" …
De ses premiers pas à la place des femmes dans l'architecture en passant par les menaces qui pèsent sur son activité … Rencontre avec la fondatrice de l'agence Maud Caubet Architects !
1. Bonjour Maud ! Prête à tout nous dire sur votre activité ?
Bonjour ! Prête !
2. Reprenons l'histoire au début : quel est votre premier souvenir d'architecture ?
Il remonte à mon enfance ! Mes parents étaient voyageurs et mon père navigateur. Pour occuper les journées de navigation qui n'ont pour horizon que l'infini de l'océan, j'empruntais les livres d'architecture de ma mère. C'est ainsi que tout à commencé …
3. Vous êtes devenu architecte en mer …
En quelque sorte ! Au-delà de la lecture, les voyages m'ont permis de découvrir des univers et des urbanismes toujours différents, des constructeurs qui trouvent des réponses autrement … Tout cela a nourri ma curiosité et mon attirance pour la diversité, en comprenant très tôt qu'il n'y pas une architecture mais plusieurs, pas un architecte mais des architectes, pas un habitant mais des habitants.
4. S'ouvrir pour ne pas verser dans la "pensée unique" d'une architecture qui se limiterait à un territoire et une époque donnée ?
Exactement ! Nous ne sommes pas des chercheurs, nous ne cherchons pas pour chercher, mais si on considère la propension de l'humanité à évoluer sans cesse, il est indispensable que son cadre bâti s'inscrive dans cette démarche de mutation permanente.
Questionner, réinventer, décloisonner … Ce sont pour moi des valeurs indispensables à l'architecte. Toutes époques confondues.
5. Une fois que l'on a dit ça, qu'est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?
La recherche permanente de sincérité, dépourvue de tout intérêt. Malgré toutes les contraintes que mes confrères et moi connaissons, du timing au budget en passant par les mouvements politiques continus, nous devons garder le cap.
6. Comme un bon navigateur … ?
(Rires) La comparaison est bonne : il faut se tenir à ce que l'on a fixé, en suivant la route que l'on a définie. C'est cela la sincérité en architecture.
Lorsque l'on s'inscrit dans cette démarche, les impératifs de cohérence pour les usagers et d'inscription de notre réalisation dans son contexte immédiat s'imposent d'eux-mêmes.
7. Etre une femme dans le monde de l'architecture, est-ce un frein ?
Je ne serai pas si catégorique même si tout est loin d'être parfait bien entendu. Je pense qu'il y a une volonté d'égalité qui se traduit, par exemple, par la discrimination positive. J'avoue avoir un peu de mal avec l'idée.
Lorsque l'on m'appelle pour me dire "Maud, j'ai pensé à toi parce que tu une femme architecte", j'espère toujours qu'au-delà de ça, j'ai été contacté pour ce que je propose !
Et quelle sera la suite du processus ? Je crains une hyper-segmentation des personnes qui sont, avant tout, architectes, et ne devraient être considérées que pour leurs capacités à concevoir.
Malgré tout, cela permet, quelque que soit la case dans laquelle on vous met en fonction de votre religion, votre sexe ou votre origine, de faire émerger de nouveaux visages qui, une fois dans la lumière ne brillent plus que par leur talent.
8. Difficile de placer le curseur au bon endroit …
Oui, c'est une question à laquelle il est très compliqué d'apporter une réponse unique. Mais je crois sincèrement qu'en étant persévérante et passionnée, les barrières peuvent tomber.
9. Vous pensez qu'une femme architecte à plus de marches à gravir qu'un homme pour réussir ?
Je crois surtout que nous vivons une époque où la charge mentale tend à s'équilibrer. J'ai fondé mon agence d'architecture sans que cela ne m'empêche de devenir mère de trois enfants. Et il est temps que l'on se rende compte de la chance que nous avons en France de pouvoir concilier vie pro et vie perso. En Allemagne, une femme qui a des enfants doit s'arrêter de travailler.
Le plus dur finalement c'est de ne pas culpabiliser, en tant que femme et mère, lorsque l'on "équilibre" les obligations dans le couple ! (Rires)
Le plus simple pour concilier tout cela, c'est finalement de devenir son propre patron.
10. Le conseil que vous donneriez à une jeune femme qui se lancerait dans des études d'architecture aujourd'hui ce serait finalement : monte ta propre agence !
Bien sûr ! Devenir sa propre cheffe est l'itinéraire le plus court vers la découverte de soi, au boulot ou dans le perso.
11. Sans transition : quelle est la plus belle réalisation architecturale selon vous ?
Je suis quelqu'un de profondément athée, pour autant, je trouve que les édifices religieux, du temple bouddhiste aux mosquées en passant par les églises, peu importe la religion, dégagent une puissance et une capacité à traverser les époques qui me fascine. Ces réalisations poussent très souvent l'audace de l'art et de la technologie aux confins des savoir-faire d'une époque, pour des résultats oniriques.
12. Votre plus grande fierté dans le métier ?
Elles ont toujours lieu sur le chantier. Avant cette étape, le rouleau compresseur des contraintes du projet est éreintant, mes confrères et consœurs ne vous diront certainement pas le contraire.
Après avoir dessiné, redessiné, et re-redessiné des plans afin d'aboutir à la version idéale, je ne connais pas de sentiment plus beau que la fierté que nous ressentons, avec nos partenaires constructeurs, en regardant ce bébé que nous avons mis ensemble au monde. Ce sont des instants qui marquent profondément une vie.
13. Des instants qui sont possibles dès lors que l'on ne conteste pas aux architectes leur présence sur le chantier …
Imaginerions-nous un écrivain qui n'écrive que les deux premiers chapitres de son livre avant de confier la rédaction des suivants à une autre personne ? Difficilement ! Alors comment pouvons-nous imaginer que la personne qui conçoit une construction ne soit pas impliquée dans sa réalisation ?
Et quelle hypocrisie n'atteignons-nous pas lorsque l'on nous charge de missions Visa ! Nous nous retrouvons engagés, intellectuellement et professionnellement, sans avoir aucun contrôle sur le chantier !
Nous devons, nous architectes, redoubler d'effort auprès des politiques pour que des objectifs court-termistes n'entravent plus notre dynamisme.
14. En tant que responsable d'une agence, quels sont les risques majeurs qui menacent votre exercice, votre quotidien ?
Vous voulez une liste exhaustive ? Ça risque de prendre un moment ! Mais si je devais en isoler deux, je dirai :
Les retards de paiement
La sinistralité
Le retard de paiement est une réelle catastrophe pour nos petites structures ! Nous tenons un rôle de banquier vis-à-vis des entreprises avec lesquelles on travaille. Le risque est réel pour la santé financière de nos agences.
La sinistralité quant à elle, est un risque inhérent à notre métier. Mais sur l'autel du rendement, de délais toujours plus courts, d'entreprises qui sous-traitent de plus en plus afin de tenir les planning, c'est la qualité du travail qui s'éloigne et donc les risques de sinistralité qui explosent !
Heureusement, les architectes ont cette dose de folie et de passion qui fait que nous n'y pensons pas au quotidien sinon, il serait impossible de faire ce métier !
15. Un quotidien que la MAF essaye à son niveau, d'améliorer …
Je ne dirai le contraire à personne. Entre l'information mise à notre disposition, la proximité avec l'Ordre et les journées d'ateliers (Rendez-vous de la MAF, ndlr), de réels outils sont déployés afin de lutter efficacement contre les sinistres. Et pour un architecte, il n'y a pas grand-chose qui importe plus que d'en éviter un !
Et puis, c'est beaucoup plus simple d'être tous assurés au même endroit lorsque nous nous retrouvons entre confrères, cotraitants ou comandataires sur une mission ! (Rires)
C'est une maison qui arrive à parler aux architectes d'architecture et non d'assurance, et c'est le plus important.
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05 décembre 2024