Cet article a été rédigé d’après le webinaire intitulé « Les risques associés aux marchés globaux et les avancées du CCAG-Maîtrise d’œuvre », réalisé le 8 juillet 2021 par la MAF, avec la participation de : Ludovic Patouret, expert associé chez Gecamex ; Alain Broglin, avocat ; et Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF. Dans cet article, seule la partie traitant des marchés globaux est reprise. Les avancées du CCAG-Maîtrise d’œuvre sont traitées à part (voir le « Pour en savoir plus… »)
Les risques associés aux marchés globaux

Sommaire

  • L’essentiel
  • La redistribution des règles du jeu
  • Une maîtrise d’œuvre identifiée et missionnée
  • Les risques associés aux marchés globaux
  • Les pistes pour maîtriser les risques 
  • Pas de cadeau à la maîtrise d’œuvre
  • Pour en savoir plus…

L’essentiel

  • Les marchés globaux dérogent au principe d’allotissement des marchés de construction et placent les maîtres d’œuvre sous la coupe des entreprises ;
  • Dans ces marchés, les maîtres d’ouvrage font porter aux architectes des responsabilités qui ne sont pas les leurs ;
  • Au sein du groupement de constructeurs, la maîtrise d’œuvre peine à concilier sa solidarité et son devoir de conseil à l’égard du maître d’ouvrage ;
  • L’absence de convention de groupement type oblige les maîtres d’œuvre à la plus grande vigilance dans la pratique des marchés globaux ;
  • Le retour d’expérience sur la pratique de ces marchés permet de dégager les principaux risques qui leur sont associés et les réponses que les maîtres d’œuvre peuvent apporter pour les éviter.

La redistribution des règles du jeu

Les marchés globaux existent depuis longtemps, notamment en marchés publics. Dès 1993, lorsqu’il s’agit de faire passer rapidement un projet complexe dans un contexte politique fort, le législateur prévoit de recourir à la conception-réalisation.

Si ce type de marché est le plus connu car le plus utilisé aujourd’hui, c’est qu’il permet de confier à la fois les études de conception et l’exécution des travaux à un même opérateur économique grâce à une « boîte » dans laquelle l’acheteur public groupe les constructeurs et les laisse gérer la technique, les coûts et les délais.

Pourtant, derrière l’apparente simplicité de l’offre à prestations, prix et délai définitifs se cache une redistribution des règles du jeu entre les différents acteurs de l’opération (le maître d’ouvrage, l’entreprise et le maître d’œuvre).

Exit la loi Maîtrise d’ouvrage publique (loi MOP1) et la sacro-sainte indépendance du maître d’œuvre2. Relégué à un second rôle sous la coupe de l’entreprise, le maître d’œuvre peine à concilier à la fois son devoir de conseil envers le maître d’ouvrage et sa position solidaire au sein du groupement. « Ce type de marché est contre nature, constate Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF, le maître d’œuvre est en effet le conseiller du maître d’ouvrage qui a besoin d’une relation directe pour lui rappeler les contraintes du projet et agir comme garde-fou vis-à-vis de l’entreprise ».

Et c’est bien là la condition pour assurer la qualité architecturale et technique de l’ouvrage : « Les maîtres d’ouvrage qui recourent aux marchés globaux ne comprennent pas l’intérêt d’avoir à leurs côtés un maître d’œuvre indépendant et fort », regrette le directeur général adjoint de la MAF. Principal défaut associé aux marchés globaux : les maîtres d’ouvrage tentent de faire porter aux architectes des responsabilités qui ne sont pas les leurs. 

Voici, dans cet article, un aperçu des principaux risques et des parades à mettre en place.

Rappelons tout d’abord que les marchés globaux vont à contre-courant du grand principe de l’allotissement des marchés publics dans lequel la mise en concurrence est la plus large possible en associant les entreprises locales et les PME. Ils dérogent à ce principe énoncé dans la loi MOP dans laquelle les travaux sont confiés par lots aux différentes entreprises qui les réalisent. 

Les marchés globaux sont codifiés dans le code de la Commande publique3 dont l’article L 2171-1 précise : « Sont des marchés globaux passés par dérogation au principe d'allotissement : les marchés de conception-réalisation ; les marchés globaux de performance ; et les marchés globaux sectoriels (pour les projets importants concernant la police, la gendarmerie, l’armée, les hôpitaux, le Grand Paris, etc.) ». Ainsi, le code qualifie de globaux les marchés suivants :

  • « Le marché de conception-réalisation est un marché de travaux permettant à l'acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux. » 
  • « Le marché global de performance associe l'exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance. »
  • Et « L'État peut confier à un opérateur économique une mission globale portant sur : la conception, la construction, l'aménagement, l'entretien et la maintenance des immeubles affectés à la police nationale, à la gendarmerie nationale, aux armées ou aux services du ministère de la défense, à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ou affectés par l'État à la formation des personnels qui concourent aux missions de défense et de sécurité civiles.

Une maîtrise d’œuvre identifiée et missionnée

Ce type de marchés s’est peu à peu imposé et généralisé alors que les premiers marchés de conception-construction étaient à leur origine souvent contestés et annulés par le conseil d’État pour défaut de justification de leur recours. Depuis, les textes ont évolué pour tenter de banaliser les marchés globaux.

Récemment, la MAF a obtenu que soient intégrées deux dispositions spécifiques à l’équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception lorsqu’il y a une prestation de conception : 

  • L’équipe de maîtrise d’œuvre doit être clairement identifiée ;
  • Une mission de base doit lui être confiée, elle comprend au moins l’avant-projet définitif (APD), les études de projet (PRO), le suivi des travaux et l’assistance du maître d’ouvrage aux opérations de réception des travaux (AOR). Cette mission de base peut être complétée par d’autres éléments de mission telles que l’esquisse (ESQ), l’avant-projet sommaire (APS), la direction de l’exécution des contrats de travaux (DET).

Il est important de souligner que, malgré l’intervention de la MAF dans la rédaction du texte concernant les contrats globaux, le code de la Commande publique distingue désormais, d’une part, le suivi des travaux, et d’autre part, la direction des travaux4.

Chacun de ces éléments de mission se définit de la manière suivante : 

  • « Le suivi des travaux a pour objet, d'une part, de s'assurer que les documents d'exécution ainsi que les ouvrages en cours de réalisation respectent les dispositions des études effectuées et sont conformes au marché global et, d'autre part, que les demandes de paiement sont cohérentes avec l'avancement des travaux. Il comprend la participation aux réunions de chantier et le visa des procès-verbaux » ;
  • « La direction des travaux a pour objet d'organiser et diriger les réunions de chantier et en établir les procès-verbaux ».

Ainsi, l'équipe de maîtrise d'œuvre est chargée du suivi de la réalisation des travaux et, le cas échéant, de leur direction. Dans les faits, ce dernier élément de mission reste généralement attribué à l’entreprise principale. Notons également que, dans le « suivi des travaux », la participation aux réunions de chantier ne signifie pas que la maîtrise d’œuvre dirige le chantier, mais que c’est bien l’entreprise qui se dirige elle-même. Il s’agit là de changements fondamentaux par rapport à ce qui est pratiqué dans le cadre de la loi MOP.

La MAF déplore ce faux-semblant sur la capacité donnée à la maîtrise d’œuvre – dans le cadre des marchés globaux – d’exercer pleinement son rôle vis-à-vis de l’entreprise. Les règles concernant la maîtrise d’œuvre dans les marchés globaux étant finalement assez succinctes.

Parallèlement, et compte tenu de la spécificité des marchés globaux, il n’y a pas de CCAG spécifique s’y appliquant. Toutefois, le CCAG-Maîtrise d’oeuvre et le CCAG-Travaux peuvent être aujourd’hui cumulés dans un marché global. La maîtrise d’œuvre doit aujourd’hui travailler à la fusion de ces deux CCAG pour créer un CCAG-Marché global qui n’existe pas encore. C’est, pour l’instant en matière de clauses administratives, la liberté contractuelle qui prévaut et génère un risque contractuel important pour les maîtres d’oeuvre.

Les risques associés aux marchés globaux

Dans un marché de type loi MOP, le maître d’ouvrage s’adresse à deux entités bien distinctes avec lesquelles il a des liens contractuels : la maîtrise d’œuvre et l’entreprise. Ces deux entités n’ont entre elles, à priori, que des liens fonctionnels. Avec les contrats globaux, une sorte de fusion des deux entités s’opère au sein du groupement de constructeurs.

  • L’inversion du rapport de force maîtres d’œuvre/entreprises au détriment de la qualité architecturale

Le rôle de mandataire du groupement étant systématiquement dévolu à l’entreprise, nous assistons à une inversion du rapport de force : l’interlocuteur privilégié du groupement n’est plus le maître d’œuvre, mais l’entreprise principale. L’architecte n’est plus le protecteur efficace des intérêts du maître d’ouvrage dans la direction de l’exécution de l’ouvrage. Il est relégué au second plan par une entreprise qui se trouve en position dominante.

Cette inversion est notamment favorisée par la différence de poids économique qui existe entre une maîtrise d’œuvre généralement composée de petites structures, et d’entreprises généralement constituées de majors ou d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) du BTP. Ces entreprises sont notamment dotées de services juridiques assez puissants.

L’entreprise ayant plus de poids pour imposer ses choix au maître d’ouvrage par le biais des variantes, le principal risque est de voir l’entreprise « déshabiller » le projet pour finalement appauvrir les qualités technique, architecturale et d’usage de l’ouvrage au profit de sa marge financière.

  • Le transfert de risque du maître d’ouvrage vers le groupement « maîtrise d’œuvre/entreprises »

Le maître d’ouvrage n’est plus protégé par deux forfaits, mais par un seul « super forfait » qui le lie à un groupement de constructeurs. Il a ainsi la possibilité de transférer un nombre important de risques vers ce groupement si le programme est insuffisamment défini. Ce sont notamment : le risque géotechnique et le risque aux existants (réseaux, ouvrages, avoisinants). Et cela, même si dans la pratique nous constatons que les maîtres d’ouvrage s’entourent assez volontiers d’assistants (AMO) pour sécuriser leurs marchés. 

  • L’insuffisance de la définition des rôles, des tâches et des missions

Intentionnellement, les marchés globaux ne précisent généralement pas suffisamment les rôles au sein du groupement. Pour la maîtrise d’ouvrage, cette dilution de la conception dans les rôles des uns et des autres – maître d’œuvre et entreprise – génère aussi celle des responsabilités en cas de litige.

  • La défaillance du mandataire

Pour limiter les conséquences en cas de défaillance du mandataire et ne pas abandonner complètement la phase conception aux entreprises, les organisations professionnelles d’architectes proposent à la maîtrise d’ouvrage de recourir au « mandat tournant » qui consiste à désigner l’architecte comme mandataire du groupement en phase de conception, puis à désigner l’entreprise principale comme mandataire en phase de travaux. Ce principe semble ne pas être la préférence des maîtres d’ouvrage ni même celle des architectes.

Par ailleurs, et contrairement à ce que certains maîtres d’ouvrage souhaitent lorsque l’entreprise mandataire est défaillante en phase d’exécution de travaux, l’architecte ne peut pas se substituer à elle pour devenir « réalisateur » à sa place. Sa déontologie professionnelle le lui interdit, et son assurance ne le prévoit pas.

Dans une affaire connue de la MAF, le maître d’ouvrage a dû résilier le marché passé avec l’entreprise mandataire défaillante et avec chacun des membres du groupement avant de relancer un nouveau marché complet.

Si le risque de défaillance du major du BTP reste assez limité, celui qui concerne la PME – dans un contexte où les marchés globaux se banalisent et s’ouvrent aux PME – est plus élevé pour des entreprises moins solides financièrement. Cela pose la question du mécanisme à mettre en place en cas de défaillance du mandataire. Tous les marchés ne règlent pas cette question importante dans un contexte de crises sanitaire et de pénurie des matériaux comme nous le connaissons actuellement.

  • L’absence de convention type

Il n’existe pas de convention type pour régir les obligations et les responsabilités entre les membres du groupement (bureau d’études, architecte et entreprise). Des travaux sont en cours pour la rédaction d’un tel document par les organisations professionnelles de la maîtrise d’œuvre (ordre des architectes, fédération CINOV et Syntec ingénierie qui regroupent des bureaux d’études).

Les organisations professionnelles de la maîtrise d’oeuvre constatent aujourd’hui que ce sont les majors du BTP qui tentent d’imposer leur convention type élaborée avec leurs services juridiques et leur organisation professionnelle Entreprises générales de France BTP (EGF-BTP). Cette convention, rédigée en faveur des entreprises générales, désavantage la maîtrise d’oeuvre. 

  • La gestion des imprécisions de conception

La conception d’un ouvrage s’affine tout au long d’un processus d’études. C’est la raison pour laquelle la loi MOP construit le processus d’élaboration du projet par étape dans un séquençage qui permet d’améliorer la conception jusqu’à l’exécution des travaux : esquisse, avant-projet, projet. Il y a, en quelque sorte, un « droit à préciser le projet » couvert par un taux de tolérance. Cette démarche essentielle à la qualité architecturale n’existe pas en marché global.

Le maître d’ouvrage est protégé par son forfait à prestations, prix et délais définitifs alors que les études de conception – généralement contractualisées au stade du concours sur l’avant-projet sommaire – ne sont pas abouties. La difficulté pour la maîtrise d’œuvre est de tout prévoir au stade de l’avant-projet et de gérer ultérieurement l’inachèvement des études – donc certains imprévus – au sein du groupement.

La MAF constate qu’il y a de plus en plus de recours d’entreprises au sein même du groupement de conception-réalisation vis-à-vis de la maîtrise d’œuvre. Les entreprises reprochent généralement à la maîtrise d’œuvre de ne pas avoir suffisamment décrit une prestation au stade du concours justifiant, par-là, leur refus de la prendre en compte dans la réalisation de l’ouvrage.

Retenons que, dans un marché global, il n’existe pas de mécanisme de rattrapage sous la forme d’une marge de tolérance. La MAF et ses réseaux d’experts et d’avocats ont même constaté dans certaines conventions de groupement qu’en cas d’imprécision de la part du concepteur, ce dernier est tenu d’indemniser le réalisateur « à l’euro près ».

Autrement dit, la moindre imprécision peut donner lieu, au sein du groupement, à un recours de l’entreprise contre le maître d’œuvre. Et cela, notamment parce que l’entreprise n’est pas obligatoirement assurée pour les erreurs dans ses propres études et ses travaux avant réception, tandis que l’architecte l’est.

En marché global, cette tendance lourde consiste à faire supporter au seul architecte toute erreur de conception. Et cela, alors même que l’entreprise, associée au maître d’oeuvre en phase de concours, a inévitablement participé à la phase de conception.

 

A retenir :

 

En loi MOP (lots séparés), les constructeurs peuvent demander que le maître d’ouvrage prenne en charge les « travaux nécessaires ». Les juridictions appliquent le principe de l’enrichissement sans cause : il consiste à dire qu’à partir du moment où les travaux sont utiles et nécessaires, ils doivent être mis en oeuvre pour réaliser l’ouvrage dans les règles de l’art. Et le maître d’ouvrage doit les payer. Par ce biais, les constructeurs ont la possibilité de faire payer au maître d’ouvrage les éventuels petits oublis de conception5

Ce n’est pas le cas dans les marchés globaux dans lesquels les constructeurs vendent un ouvrage construit à prestations, prix et délai convenus et définitifs. Les constructeurs ne peuvent plus demander au maître d’ouvrage de prendre en charge, par exemple, un drainage qui aurait été oublié. L’ouvrage doit être livré conformément aux règles de l’art et à la charge du groupement. Ainsi au sein du groupement, l’entreprise demande au maître d’œuvre de payer le drainage oublié. La souplesse du marché en loi MOP sur les petits ouvrages oubliés n’existe pas dans les marchés globaux.

Dans ces marchés, la maîtrise d’œuvre qui ignore ce que contient le prix de l’entreprise – et notamment la part d’aléa – estime que le coût de l’ouvrage et des éventuels imprévus relèvent de l’entreprise. Or, dans les faits, cette dernière refuse systématiquement de communiquer sur le détail de son prix et de prendre à sa charge les éventuels petits oublis de conception.

 

  • La gestion des conflits d’intérêt (devoir d’information vis-à-vis du maître d’ouvrage)

Solidaire d’un mandataire au sein d’un groupement, la maîtrise d’œuvre est en porte-à-faux vis-à-vis du maître d’ouvrage si l’entreprise ne remplit pas ses obligations. Même solidaire au sein d’un groupement, le maître d’œuvre reste tenu d’une obligation d’information et de conseil du maître d’ouvrage : il doit notamment signaler au maître d’ouvrage les défauts d’exécution des travaux. A défaut, le maître d’oeuvre est responsable.

Les pistes pour maîtriser les risques 

  • La définition précise et exhaustive des rôles respectifs

La convention de groupement est la pierre angulaire du bon fonctionnement du groupement. Sans être obligatoire, elle est indispensable. Elle définit le plus précisément possible les rôles respectifs des uns et des autres pour chaque élément de mission, sous la forme d’un « chemin de croix » (un tableau faisant ressortir chaque élément de mission en regard duquel chaque acteur du groupement – maître d’œuvre et entreprise – se voit attribuer une tâche : « exécute », « contrôle », « valide », etc.).

Attention, la tâche intitulée « Participe » qui signifie pour le juge « Je n’exécute pas vraiment la tâche pas mais je suis quand même responsable » est à éviter. L’architecte qui, par exemple, n’a qu’un suivi architectural en phase chantier doit le rappeler clairement dans la convention de groupement.

La convention précise comment sont gérés les éventuels aléas et imprévus au sein du groupement.

  • La convention de groupement tripartite

Une convention de groupement « tripartite » – maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprise – signifie qu’elle est notamment opposable au maître d’ouvrage. Dans ce cas, le maître d’œuvre peut dégager sa responsabilité vis-à-vis du maître d’ouvrage pour toutes les missions qui ne sont pas de son ressort. Pour la rendre opposable, la convention de groupement doit être intégrée aux pièces contractuelles du marché de maîtrise d’œuvre (en annexe à l’acte d’engagement, par exemple).

Dans un arrêt de 2010, le conseil d’État précise que le maître d’oeuvre ne peut échapper à sa responsabilité en cas de groupement conjoint et solidaire que s’il existe une répartition des missions au sein du groupement qui soit opposable au maître d’ouvrage. Ainsi, en cas de problème sur le chantier qui ne concerne pas le maître d’œuvre, ce dernier peut dégager sa responsabilité même s’il est solidaire du groupement.

Dans une affaire de construction d’hôpital en conception-réalisation, un maître d’ouvrage avait un programme très détaillé qui précisait que les réserves destinées à stocker les médicaments devait faire 4 mètres de hauteur libre. La hauteur libre finalement réalisée étant de 2,5 m, le maître d’ouvrage – protégé par son forfait et un programme bien fait – a demandé aux constructeurs que le volume manquant soit construit sur une partie de terrain restant libre, à la charge du groupement (pour 1,2 millions d’euros) avec pénalités en cas de retard de livraison.

La convention de groupement n’étant pas opposable au maître d’ouvrage, un contrat a dû être conclu entre le maître d’ouvrage et les membres du groupement pour cette opération complémentaire. Parallèlement, le maître d’œuvre et l’entreprise ont traité devant le juge judiciaire le différend qui les opposait sur leurs responsabilités respectives.

Grâce à la précision de la convention de groupement, la maîtrise d’œuvre a tout de même réussi à démontrer qu’il s’agissait d’un problème de synthèse dont la mission était dévolue à l’entreprise. La maîtrise d’œuvre n’a toutefois pas échappé au préfinancement d’une grosse partie des travaux pour éviter une catastrophe économique rendue possible avec l’entreprise prête à jouer la carte du « chantier à la dérive ».

  • Le comité de direction pour gérer les différends

Les membres du groupement ont tout intérêt à mettre en place un comité de direction pour gérer les différends, de manière amiable dans un premier temps. Il s’agit de ne pas laisser un blanc-seing au mandataire, et l’amener à rendre des comptes sur la gestion des travaux.

  • La vérification des couvertures d’assurance des cotraitants pour la phase conception

Les assurances avant réception des travaux n’étant pas obligatoires pour les entreprises et les bureaux d’études, l’architecte veille à ce que la convention impose à tous les cotraitants du groupement une assurance en phase études et chantier. Et cela, pour la part de conception de l’ouvrage assumée par l’entreprise et le bureau d’études, et en particulier pour les interventions sur des existants, selon la spécificité de l’opération.

  • La conservation des preuves de désaccord sur le déroulement de l’opération (mention dans les comptes rendus, lettres à l’entreprise, e-mails, etc.).

Le maître d’œuvre doit réagir par écrit lorsqu’il n’est pas d’accord avec ce que fait l’entreprise. Il conserve la trace des écrits pour, en cas de litige ultérieur, montrer au juge qu’il a alerté sur les erreurs ou les fautes de l’entreprise. Notamment sur l’importance de certaines réserves au moment de la réception de travaux.

Dans un premier temps, il n’écrit qu’à l’entreprise pour exprimer son désaccord et tenter de régler le problème au sein groupement (ce qui ne plaît pas toujours au maître d’ouvrage qui veut donner parfois au maître d’œuvre un rôle d’alerte sur les écarts de l’entreprise). Dans un second temps et en absence de réaction de l’entreprise, le maître d’œuvre écrit au maître d’ouvrage selon la gravité de la situation.

En résumé, le maître d’œuvre est tiraillé entre son devoir de solidarité au sein du groupement et son devoir de conseil vis-à-vis du maître d’ouvrage. Il ne doit pas s’interdire de s’adresser directement au maître d’ouvrage.

  • La définition du mode de gestion des aléas et des imprécisions

Les contrats globaux doivent prendre en compte les aléas et des taux de tolérance. 

  • Le paiement direct du maître d’œuvre sans passer par le mandataire

Pour éviter que le mandataire ne fasse pression sur le maître d’œuvre à travers le paiement des honoraires, la maîtrise d’œuvre doit mettre en place un paiement direct au moment de la signature du marché de maîtrise d’œuvre. Ce moyen permet au maître d’œuvre de garder son indépendance – pas seulement financière – vis-à-vis du mandataire.  

Dans une affaire connue de la MAF, une entreprise propose de réaliser des garde-corps standards en remplacement de ceux conçus par l’architecte au motif qu’ils sont, selon elle, trop chers. L’architecte insiste pour que le dessin originel soit conservé et, faute de réponse de l’entreprise, alerte le maître d’ouvrage des difficultés qu’il rencontre pour faire respecter par l’entreprise son obligation de réaliser les garde-corps prévus au marché.

Si cette démarche a permis d’obtenir que les garde-corps soient réalisés conformément au dessin de l’architecte, elle a montré la vulnérabilité du maître d’œuvre en l’absence de paiement direct des honoraires, l’entreprise mandataire n’ayant rien trouvé de mieux, en représailles, de ne plus mettre en paiement les notes d’honoraires de l’architecte.

  • Le refus d’être mandataire du groupement

En cas de défaillance de l’entreprise en phase de travaux, le maître d’œuvre ne peut pas remplacer l’entreprise, ni sous-traiter les travaux : les règles professionnelles des architectes leur interdisent d’exercer une activité de travaux et les assurances de maîtrise d’œuvre ne couvrent pas cette activité. Même si le maître d’ouvrage la propose dans les opérations qui comportent une phase de conception importante, la mission de mandataire attribuée au maître d’œuvre est déconseillée. 

Pas de cadeau à la maîtrise d’œuvre

Ces dernières années, le contentieux a été important en matière de marchés globaux. Dotées de services juridiques assez solides, les grandes entreprises ne font pas de cadeau à la maîtrise d’œuvre. Les décisions de justice sont donc assez nombreuses.

A titre d’exemple, une entreprise mandataire a récemment demandé à l’architecte le remboursement des honoraires versés lors de la candidature du groupement (30 000 euros), arguant que l’architecte ne lui avait pas permis de remporter le marché (concours perdu). Cette affaire, dans laquelle la justice n’a pas donné raison à l’entreprise, montre que les entreprises mandataires de groupements ne renoncent pas à des motifs absurdes pour attaquer la maîtrise d’œuvre. 

Dans une autre affaire de marché global, un tribunal de commerce a condamné l’architecte à payer 3 millions d’euros d’indemnités à l’entreprise pour violation de la clause de confidentialité de la convention de groupement, au motif que l’architecte avait diffusé les dessins du projet non retenu.

Les maîtres d’œuvre doivent être vigilants avant de signer les conventions de groupement et les contrats de maîtrise d’œuvre ; aucune clause n’est anodine.

Pour en savoir plus…

  • Le webinaire intitulé « Les risques associés aux marchés globaux et les avancées du CCAG-Maîtrise d’oeuvre », réalisé le 8 juillet 2021 par la MAF avec la participation de : Ludovic Patouret, expert associé chez Gecamex ; Alain Broglin, avocat ; et Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF, à voir ou à revoir sur Internet, dans votre espace adhérent.
  • Le webinaire intitulé « Cahier des clauses administratives générales - maîtrise d’œuvre : apport et points-clés de la réforme » réalisé le 15 juin 2021 consacré au CCAG-Maîtrise d’œuvre, auquel participaient Olivier Caron et Alexandre Labetoule, avocats associés au cabinet CLL avocats ; Benoît Gunslay, référent marchés publics du conseil national de l’ordre des architectes (CNOA) ; et Michel Klein, directeur général adjoint de la MAF, à voir ou à revoir sur Internet, dans votre espace adhérent.
  • L’article rédigé d’après le webinaire réalisé par la MAF le 15 juin 2021 consacré au CCAG-Maîtrise d’œuvre à lire ou à relire sur Internet, dans votre espace adhérent.

 

1. Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée : suivez ce lien.

2. La règle d’or de la loi MOP prévoit que la construction publique est réalisée par trois acteurs : le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et l’entreprise. Chacun remplit son rôle de façon indépendante. Les régimes d’incompatibilité sont fixés par la loi : on ne peut pas être maître d’ouvrage public et maître d’œuvre privé ; pas plus que maître d’œuvre privé et entrepreneur.

3. L 2171-1 à L 2171-6 : suivez ce lien.

4. Article D2171-13 (partie règlementaire du code de la commande publique).

5. Toutefois, le conseil d’État est venu préciser récemment que ce principe s’applique sauf à ce que les travaux soient tellement coûteux que le maître d’ouvrage aurait abandonné son opération s’il avait su qu’il devait payer autant de travaux supplémentaires : ce serait le cas, par exemple, d’une construction nécessitant par exemple des fondations spéciales extrêmement coûteuses.