Entretien avec Jean-Claude Martinez, président de la Mutuelle des architectes français (MAF) et Philippe Carraud, directeur général.
Jean-Claude Martinez et Philippe Carraud

 

Les dirigeants de la MAF dressent pour le Moniteur un état des lieux de la profession, des défis qui l’attendent, notamment liés au BIM (Building information Modeling) et des risques émergents qui leur sont associés. notamment liés au BIM et des risques émergents qui leur sont associés.

 

Le Moniteur. La MAF assure plus de 80 % des architectes en France. Comment se porte la profession ?


J.-C. M. Depuis plusieurs années, le montant des travaux déclarés à la MAF baisse : – 7 % en 2015, – 6 % en 2014. Un effritement lié à la chute d’activité et des coûts de construction, qui entraînent une baisse des honoraires. Mais on observe depuis quelques mois un redémarrage du logement en particulier et des bureaux en région parisienne. C’est particulièrement sensible dans le Sud-Ouest, la région lyonnaise et en Paca. Je parle ici de la commande privée, la commande publique restant atone. Même si nos chiffres sont en déphasage d’un an, nous observons une tendance encourageante.

P. C. Notre chiffre d’affaires reflète l’activité des architectes. Par rapport à notre point haut de 2008, le montant des cotisations perçues de la part de nos adhérents a diminué de 23 %. On peut gager que depuis cette date, le revenu des architectes s’est érodé dans les mêmes proportions… Nous observons aussi un « démembrement » des missions. La part de la cotraitance a augmenté de 10 points en 15 ans. Les intervenants de la maîtrise d’œuvre se multiplient, les honoraires s’émiettent.

 

Face à ce démembrement, faut-il des agences plus pluridisciplinaires ?


J.-C. M. La profession est aujourd’hui majoritairement le fait d’agences d’une ou deux personnes. Difficile de se structurer dans ces conditions. Ce qu’il faut c’est trouver des associations de compétences par projet, avec des BET, des paysagistes, etc. afin d’assurer la solidité de la proposition apportée au maître d’ouvrage à laquelle oblige la réglementation. L’architecte doit donc pouvoir compter sur un réseau de compétences. Il ne peut plus travailler tout seul. Il doit se former sur les risques, sur ses responsabilités, sur la prévention des sinistres, etc. Ces évolutions du métier sont aussi l’occasion pour lui de reprendre le leadership dans l’équipe de maîtrise d’œuvre.

 

La MAF organise depuis peu des « Rendez-vous » en régions. Quelles sont les remontées du « terrain » ?


P. C. Nous percevons clairement une forte attente des architectes pour disposer d’un accompagnement pratique et de conseils sur des sujets très concrets. Y compris sur des thématiques comme le droit social, la vie du contrat de travail (application, rupture), le recouvrement des honoraires, etc. La demande est également soutenue pour la rédaction du contrat de maîtrise d’œuvre : les clauses à éviter et celles qui sont impératives, la manière de les libeller, etc.

J.-C. M. Je note aussi le besoin qu’ont les architectes de sortir de leur isolement, de leur activité quotidienne, de se rencontrer, de partager et d’échanger en direct avec la MAF, en face-à-face.

 

Les techniques de construction évoluent à grande vitesse. Le bois connaît un succès fulgurant, notamment en structure. Quels sont les risques nouveaux ?


J.-C. M. La MAF assure une veille juridique et technique très large. On analyse, on regarde les responsabilités nouvelles qui en découleraient pour les architectes, on évalue le risque, on le quantifie. Le principe de base de la mutuelle est de couvrir tous les risques, sauf exceptions clairement stipulées au contrat : la garantie MAF est très extensive. Sur la performance énergétique, nous avons bataillé dur. Notre crainte était que toute surconsommation active la garantie décennale, ce qui aurait totalement déstabilisé l’économie de cette garantie en France. Le Code de la construction et de l’habitation ne retient plus désormais que la notion de consommation « exorbitante », avec une prise en compte de l’entretien, de la maintenance et d’un usage normal du bâtiment.

P. C. La sinistralité ne découle pas uniquement des conséquences des nouvelles normes. La conjoncture économique médiocre est un facteur aggravant. Nous assistons aussi à une montée en puissance de la sinistralité avant réception, liée à la défaillance des entreprises, de même qu’à des réclamations financières de ces mêmes entreprises qui, étranglées, ne s’en sortent pas, se retournent vers le maître d’ouvrage qui se retourne vers son architecte. Autre facteur, la recherche de tous les concepteurs sur une opération au motif d’un « manquement au devoir de conseil » pour l’architecte. On a vu ainsi un professionnel condamné pour n’avoir pas détecté qu’un PLU était erroné, et d’autres pour avoir mal conseillé le maître d’ouvrage, notion qui peut être très extensive.

 

Quels risques présente l’essor du BIM ? Comment les évaluer et les assurer ?


P. C. Soyons clairs : pour l’instant, nous ne savons pas les identifier, ni les évaluer. Mais nos adhérents savent que nous les accompagnons et qu’ils peuvent y aller ! Nous les aidons à contractualiser correctement l’utilisation de ce nouvel outil. Nous sommes aussi très attentifs à l’émergence du métier de BIM manager : comment assurer les risques d’une mission de BIM manager sans mission de maîtrise d’œuvre ? Nous travaillons sur des contrats types, une bibliothèque de clauses, etc. Nous évaluerons ensuite dans la durée les bénéfices techniques éventuels apportés par le BIM.

J.-C. M. La MAF a mis en place un comité de suivi sur le sujet. Nous recueillons les protocoles mis en œuvre pour parvenir à un document-modèle utile pour tous. Nous sommes pour le moment en phase d’observation. Le BIM est un outil – et seulement un outil – qui apporte une vision plus large du projet. S’il est bien utilisé, il devrait participer d’une amélioration de la qualité dans le bâtiment. Et s’il y a diminution sensible de la sinistralité, il pourra y avoir une réduction de la cotisation. D’où l’importance du comité de suivi. Au-delà, le BIM, en tant qu’outil de management de projet, coordonne les partenaires entre eux et offre l’occasion à l’architecte de reprendre place au centre de la maîtrise d’œuvre.

 

Du côté de la sinistralité, quel est le tableau ?


P. C. En la matière, lorsqu’on regarde la garantie décennale, les désordres d’étanchéité à l’eau défectueuse viennent en première position, et ce depuis toujours. Un autre volet concerne la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle de l’architecte (devoir de conseil, trouble anormal du voisinage, etc.) Dans tous les cas, nous nous donnons les moyens d’encadrer la sinistralité, même s’il est difficile de prédire ce à quoi elle ressemblera dans dix ans. En France, les responsabilités décennales sont gérées en capitalisation : nous provisionnons – aujourd’hui à plus de 3 milliards d’euros -, la loi nous y oblige, et la MAF pourra faire face à ses engagements. Certains assureurs étrangers qui démarchent nos adhérents ne peuvent pas toujours en dire autant…

J.-C. M. Nous achevons actuellement un guide de bonnes pratiques sur le chantier, un vade-mecum « boîte à outils » à paraître début 2017, qui permettra aux architectes de suivre le chantier de A à Z, avec les étapes critiques à surveiller, les réflexes indispensables à acquérir, des lettres types, etc.

 

Comment voyez-vous l’avenir de la profession ?


P. C. Notre rôle est de sécuriser l’environnement professionnel, financier, etc. de nos adhérents architectes, de leur agence et des opérations de construction. Notre plate-forme de services, nos « Rendez-vous », nos publications, de même que l’étendue de nos garanties, sont là pour les y aider.

J.-C. M. La profession a toujours su évoluer, s’adapter à l’époque et aux techniques. Ça fait partie du métier ! A nous de rester vigilants pour que le BIM ne nous dépossède pas de pans entiers de nos missions. Je suis optimiste et la récente loi sur la «Liberté de la création, l’architecture et le patrimoine», quarante ans après celle de 1977, montre qu’il se passe quelque chose.

Focus : les chiffres clés de la MAF

24000

sociétaires

210,3

millions d'euros de cotisations

3,1

milliards d'euros de provisions techniques brutes

53,3

milliards d'euros de travaux déclarés par les architectes

49000

dossiers de sinistres en cours

Source : Le Moniteur n°5889 du 30 septembre 2016 – Propos recueillis par Jacques-Frank Degioanni et Dominique Errard.
Crédit : © Thomas Gogny / Le Moniteur - Jean-Claude Martinez et Philippe Carraud.