La ville des ducs de Bretagne est-elle bretonne ? Cette question nous ne l'avons pas posée à Jacques Boucheton, fondateur de l'agence JBA. En revanche, avec lui nous avons évoqué ses premiers souvenirs d'architecture, son parcours, sa vision sur l'évolution de la profession et ses perspectives d'avenir. L'homme qui hésite à choisir son camp entre optimisme et pessimisme pour la profession pose un constat acerbe sur une société qui décide souvent de voir l'architecte comme un empêcheur de tourner en rond.
1. Bonjour Monsieur Boucheton, merci de répondre à nos questions !
Bonjour ! Avec plaisir !
2. Reprenons l'histoire au début : quel est votre tout premier souvenir d'architecture ?
Sans hésitation : le pavillon allemand de l'exposition internationale de 1929 de Ludwig Mies Van Der Rohe à Barcelone. Je n'avais que 18 ans mais j'en garde le souvenir d'un bâtiment remarquable, pas plus habitable qu'habité, duquel se dégageaient une finesse, une pureté et une tension quasi indescriptibles !
3. La première étape de votre vie d'architecte ?
Je ne crois pas non. J'étais alors occupé par des études de lettres à la fac que je ne finirai pas, préférant partir à la découverte des Etats-Unis. Ma vie d'architecte commence à mon retour avec mon inscription en école d'architecture.
4. Diplôme en poche c'est parti pour le saut dans le grand bain ?
Les choses n'ont pas été si … linéaires. Au milieu de mes études, j'ai à nouveau pris le large. Après avoir mis le cap à l'Ouest, j'avais des envies d'Est. C'est comme ça que je me suis retrouvé à travailler chez des architectes en Australie.
Retour en France. Expérience en tant que conducteur de travaux puis reprise des études.
5. Mais … ?
Alors que je n'avais réalisé qu'un tiers du cursus scolaire qui devait m'amener au diplôme HMO, j'ai suivi une belle opportunité qui m'a amené à m'associer dans une agence. De fil en aiguille, cette agence s'est développée jusqu'à regrouper 8 personnes.
A 35 ans, j'ai fini par décrocher mon diplôme et devenir architecte, avec une dizaine d'années d'expérience.
6. Des rencontres, des prises de décision, de l'audace …
Tout sauf "la vie est un long fleuve tranquille" ! (Rires)
Du moins à cette époque. Aujourd'hui une certaine forme de linéarité s'est installée : l'agence existe depuis 2000, et nous sommes 30 à y travailler quotidiennement.
7. Avec du recul, quelle est la plus grande fierté de votre vie d'architecte ?
Je pense qu'il convient de répondre que je suis fier des réalisations que nous livrons. Mais ce serait mentir car je souffre de la pathologie bien connue des architectes : je ne vois que les défauts de ce que je livre !
La plus grande fierté dans mon parcours réside dans cette belle agence qui donne du travail à trente personnes, fédérées autour d'un noyau dur, dans un contexte compliqué, teinté d'optimisme et de pessimisme.
8. Les deux à la fois ?
Je dois être un peu schizophrène, mais je ne pense pas être le seul ! C'est le miroir des maux de notre profession.
L'architecture suit un mouvement général d'entreprises qui se structurent, se développent, s'organisent. Pour suivre ces évolutions, il faut déjà avoir une certaine solidité. C'est d'ailleurs pour cela que les agences "moyennes" ou "grandes" récupèrent quasiment toute la commande.
Forcément, cela se fait au détriment d'agences plus petites, incapable de se structurer autour de pôles et de prendre de la distance avec la création pure. C'est difficile pour nos jeunes confrères de tenir la cadence dans un contexte où l'on nous demande de plus en plus de rogner sur nos prérogatives …
9. Le chantier par exemple ?
Par exemple oui ! Je fais partie de ceux qui n'abandonnent pas, qui restent persuadés que nous, architectes, sommes les mieux placés pour conduire un chantier, bien au-delà du bonheur d'assister à la naissance de notre projet.
Le chantier, c'est notre R&D et notre formation en continue ! Si les prochaines générations d'architectes n'y participent pas, comment sauront-il qu'avant d'être dur le béton est mou ? Ce ne sont pas des choses qui s'apprennent dans les livres.
10. Comment s'explique cette évolution ?
Je ne saurai trop vous répondre … Une réminiscence d'une époque lointaine où l'architecte était issu des beaux-arts, plus intéressé par l'aquarelle que par les techniques de construction ? Pourquoi pas. Certaines croyances ont la vie dure …
Le logement est très probablement responsable aussi. Depuis que l'habitation est devenue un produit de vente, on n'a de cesse d'y chercher une "sur-efficience". Cela a considérablement complexifié le marché !
A force, celle de l'architecte a fini par être remise en cause et on se retrouve cantonné à un rôle d'empêcheur de tourner en rond.
Le fond du problème, à mon sens, réside dans l'absence de valeur marchande de la qualité architecturale.
11. Qu'est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?
L'écoute. C'est la toute première étape de notre travail, indispensable à notre fonction de transposition des désidératas, des envies et des nécessités en un bâtiment, sans que cela n'implique d'être à la solde de qui que ce soit.
12. Si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous pu devenir ?
J'aurais aimé être avocat. J'aime le verbe, j'aime l'écrit, j'aime que l'espèce humaine raconte et se raconte des histoires.
13. L'architecture aussi raconte une histoire …
Bien entendu ! C'est une mise en récit d'une demande parfois simplement fonctionnelle, qui va nous servir de prétexte à raconter quelque chose.
14. Au quotidien, quels sont les risques majeurs qui menacent le travail de l'architecte ?
Tout artiste que l'on souhaite demeurer, à la fin du mois, nous devons payer les salaires et garder un œil vigilant sur les chiffres de l'entreprise. Or notre trésorerie est souvent plombée par le paiement tardif des études, sans même aborder la hauteur de rémunération … Nous nous retrouvons dans des situations inconcevables où notre marge s'évapore pour un retard d'un mois sur un chantier de 3 ans. Cet équilibre précaire nous étouffe…
15. Finalement le risque majeur c'est la disparition des architectes …
Si l'on continue de vouloir construire à notre place, de nous contourner en permanence en passant sous les seuils, en s'affranchissant des concours d'architectes, alors oui c'est un risque.
Pour que cela n'arrive jamais, il faut entretenir le désir d'architecture. L'enseignement et la commande doivent concourir à cela. Et ce n'est pas un délire d'architecte, le grand public demande de l'architecture, en témoignent les chiffres de fréquentation des journées du patrimoine, des musées etc… Ils nous renseignent sur une réelle envie de voir, toucher et sentir de l'architecture. Charge aux élus d'avoir le courage d'en commander pour que cette flamme ne s'étouffe pas en condamnant avec elle, les architectes.
16. La MAF œuvrera toujours pour entretenir et alimenter cette flamme !
C’est évident et la plupart des architectes le savent. Le virage de la proximité et de la prévention pris il y a quelques années est vraiment un plus pour nous. Le conseil proposé, la prévention des risques à l’occasion des « Rendez-Vous de la MAF » auxquels j’envoie régulièrement mes collaborateurs, tout cela nous permet des mises à niveau et des conseils réguliers qui rassurent dans l’exercice quotidien de nos métiers. Et au vu du contexte actuel, être rassuré de temps en temps ne peut pas nous faire de mal ! (Rires)
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