- Comment bien choisir la forme de sa société ?
- Comment partager le pouvoir d’agir au sein de son entreprise ?
- À quelles garanties souscrire pour protéger son activité ?
C’est à ces trois questions que cet article, rédigé d’après la conférence donnée le 17 novembre 2023 par Maître Antoine Cadeo1, du cabinet Bekerman Cadeo, et Benjamin Maillard2, responsable de service Hauts Risques financiers de la MAF, apporte des réponses pour aider les architectes à mieux protéger leurs agences et leurs managers. Bonne lecture…
1. Certaines formes de société sont à privilégier et d'autres à éviter
Le choix de la structure d’exercice est crucial dès lors qu’en fonction du mode d’exercice choisi par l’agence d’architecture la responsabilité des architectes et par conséquent le risque qui pèsera sur eux seront différents. Il est donc nécessaire en amont mais aussi tout au long de la vie de l’entreprise d’architecture de s’interroger sur la structure juridique de l’agence et, le cas échéant, de la modifier.
La profession d’architecte étant une profession réglementée, les conditions de son exercice sont contraintes par la loi. Il existe trois possibilités d’exercice :
- À titre individuel, sous forme libérale.
- En qualité d’associé d’une société d’architecture.
- En qualité de fonctionnaire/salarié.
L’exercice à titre individuel sous forme libérale est déconseillé. Ce mode d’exercice est à éviter dès lors qu’aucune personnalité morale ne fait écran avec la personne de l’architecte, et cela même si depuis la loi du 14 février 2022 (n° 2022-172) l’architecte libéral bénéficie d’une protection de son patrimoine personnel. En effet, depuis cette loi, et uniquement pour les créances nées après le 15 mai 2022 (date de l’entrée en vigueur de la loi), les créanciers ne pourront poursuivre l’architecte que sur ses biens professionnels, à l’exclusion de ses biens personnels.
Historiquement, la profession d’architecte est une profession libérale dont les activités sont par nature civiles. L’exercice sous forme libérale représente encore 40 % des architectes inscrits au tableau de l’Ordre des architectes. L’architecte libéral est en principe indéfiniment et solidairement responsable des dettes de son activité sur son patrimoine personnel, ce qui constitue un risque en cas de défaillance économique. Certes, des mesures peuvent permettre à l’architecte libéral de pallier cette faiblesse structurelle liée à son mode d’exercice, mais l’exercice sous forme de société reste la meilleure protection.
Trois formes sociales sont possibles pour l’exercice sous la forme d’une société :
- La société civile professionnelle (SCP).
- Les sociétés d’exercices de professions réglementées – société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), société d’exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), société d’exercice libéral par actions simplifiée (SELAS), société d’exercice libéral en commandite par actions (SELCA).
- Les sociétés commerciales – société à responsabilité limitée (SARL), société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), société par actions simplifiée (SAS), société anonyme (SA). En effet, non concerné par la réforme de l’exercice en sociétés des professions libérales issue de l’ordonnance du 8 février 2023 (n° 2023-77)3, l’architecte peut exercer sous la forme d’une société commerciale.
Les responsabilités des associés diffèrent en fonction du type de société choisi :
La société civile professionnelle (SCP) est la forme d’exercice à écarter. En effet, le dirigeant est tenu sur l’ensemble de son patrimoine de répondre de tous ses actes professionnels : si l’architecte commet une faute, il peut être recherché sur la totalité de son patrimoine, y compris son patrimoine personnel, et mettre ainsi en péril la SCP.
Avec la société d’exercice libéral (SEL), il faut distinguer la responsabilité encourue par l’associé du fait des dettes sociales de celle encourue du fait des dettes professionnelles : pour les dettes sociales (TVA, bail, factures, etc.), la responsabilité de l’associé est limitée aux apports de la société.
En revanche, pour les dettes professionnelles (actes professionnels), la responsabilité de l’associé est engagée sur l’ensemble de son patrimoine.
Pour les sociétés commerciales, quelle que soit l’origine de la dette – dette sociale ou dette professionnelle –, il n’est pas possible de poursuivre l’associé sur son patrimoine personnel. Toutefois, la limitation de responsabilité n’est pas un principe absolu : il existe plusieurs cas où il sera possible de poursuivre l’associé sur son patrimoine personnel. Il s’agit :
- du cautionnement des engagements sociaux par l’associé ;
- du cas de la faute détachable de ses fonctions, c’est-à-dire de la faute intentionnelle d’une particulière gravité. Ce sont les fautes liées au droit des sociétés ou encore à la diffamation et non à l’activité d’architecte en tant que telle (à titre d’exemple, la surévaluation de l’apport de l’associé ou les propos diffamants lors d’une assemblée générale) ;
- de la responsabilité pénale de l’associé (surévaluation et sous-évaluation de l’apport actif de la société) ;
- du cas de l’action en comblement de passif pour les associés dirigeants de fait (il s’agit de l’associé de la SARL qui n’est pas dirigeant mais qui se comporte comme tel. Si la société se trouve confrontée à des difficultés financières, les créanciers ou le liquidateur en cas de liquidation judiciaire pourront se prévaloir du fait que l’associé s’est comporté dans les faits comme un dirigeant. En raison de ses fautes, il appartiendra alors à l’associé, personne physique, de combler le passif de la société).
En matière de responsabilité, il faut toujours distinguer l’associé du dirigeant : il s’agit de deux sources de responsabilités différentes.
Le dirigeant est celui sur qui pèse le mandat social et dont le nom apparaît sur le Kbis (il diffère selon la forme de la structure : président, membre du conseil d’administration, etc.). Quand on est dirigeant, peu importe la forme sociale, on est responsable dans les trois cas suivants :
- Les infractions aux lois et règlements.
- La violation des statuts.
- La faute commise dans la gestion. Celle-ci recoupe l’infraction aux lois et aux règlements dans la gestion de la société (à titre d’exemple, comptes sociaux qui n’ont pas été déposés dans les délais requis, comptabilité opaque, etc.).
Le dirigeant est responsable :
- vis-à-vis de la société : il est susceptible de faire l’objet d’une action ut singuli4 (action exercée par l’un des associés à l’encontre du dirigeant fautif afin d’obtenir réparation pour le préjudice subi par la société en raison de la faute de gestion commise) ;
- vis-à-vis des tiers : le dirigeant est responsable de ses faits et de ceux de ses préposés, sauf dans les cas où une délégation de pouvoir a été régularisée.
2. La délégation de pouvoirs sert le dirigeant qui ne peut pas décider de tout
D’emblée, il faut distinguer la délégation de pouvoirs de la délégation de signature.
La délégation de signature ne signifie pas que le délégataire engage la société : c’est bien le dirigeant qui signe, même si ce n’est pas de sa main.
En revanche, la délégation de pouvoirs entraîne de facto la délégation de signature.
La régularisation d’une délégation de pouvoirs se justifie par :
- un objectif managérial pour les entreprises d’une certaine taille. La délégation de pouvoirs du dirigeant qui ne peut pas tout exécuter est une gestion saine ;
- le caractère exonératoire de responsabilité du dirigeant grâce à la délégation de pouvoirs.
Les conditions de validité d’une délégation de pouvoirs au regard de la jurisprudence
Sur la qualité du délégant et du délégataire5, il faut s’assurer :
- que la délégation est autorisée dans les statuts (si rien n’est indiqué et par défaut, la délégation est autorisée) ;
- de la qualité du délégataire : il doit nécessairement être salarié de la société ou du groupe. Il est impossible de déléguer à un tiers ;
- de la qualité du délégant : il peut être le dirigeant de la société ou du groupe. Il est également possible qu’il s’agisse du délégataire qui a reçu le pouvoir et qui le délègue à son tour.
C’est la raison pour laquelle il est important de prévoir au sein du contrat de délégation si le délégataire a le pouvoir ou non de déléguer à son tour. Si rien n’est indiqué dans le contrat et par défaut, la délégation en cascade est autorisée.
La délégation de pouvoirs doit avoir un objet limité, précis et dépourvu d’ambiguïté. Le dirigeant ne peut pas déléguer l’ensemble de ses fonctions mais uniquement certains actes déterminés, tels que ceux relevant de la direction technique, administrative, comptable ou financière.
La quasi-totalité des tâches peut être déléguée à l’exception de celles pour laquelle la loi en dispose autrement (par exemple, doivent nécessairement être effectuées par le dirigeant en personne : toutes les consultations des organes sociaux, consultation préalable des instances représentatives du personnel, consultation du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT –, élections du personnel, etc.).
Il est conseillé qu’un écrit soit établi. Un contrat de délégation devra être conclu de manière à pouvoir identifier précisément, à la fois pour le dirigeant et pour le salarié, les tâches qui sont déléguées.
La délégation peut toutefois :
- être comprise dans le contrat de travail mais elle doit être précise. Le simple titre de directeur de projet ne sous-entend pas l’existence d’une délégation de pouvoirs ;
- être orale, mais il faut garder en mémoire que les juges font preuve de sévérité dans l’appréciation des conditions de validité des délégations de pouvoirs et considéreront non valide une délégation qui serait imprécise.
L’exigence de précision dans la délégation justifie également l’interdiction de la codélégation : le délégataire doit savoir exactement de quoi il est investi. Or, à partir du moment où le délégant désigne deux personnes du même pouvoir, cela crée une imprécision. En revanche, il est possible de déléguer deux missions distinctes sur un seul et même chantier (c’est la « pluridélégation »).
Il est indispensable de recueillir l’accord du salarié qui deviendra le délégataire. Au sein du contrat de délégation, il conviendra d’insérer les clauses relatives au transfert de responsabilité. Il peut y avoir en outre une modification salariale (mais elle n’est pas obligatoire). Il est possible de préciser qu’en cas de suppression de la délégation le salarié pourra demander la rupture de son contrat de travail.
Il faut également préciser que si le salarié refuse la délégation cela ne constitue en aucune façon un motif de licenciement (sauf si la délégation était intégrée dans son contrat de travail).
Enfin, ni la jurisprudence ni la loi ne le requièrent, mais il est important d’informer les équipes de l’existence de la délégation de pouvoirs afin de légitimer le délégataire, d’une part, et pour informer l’ensemble de la structure du transfert de responsabilité, d’autre part.
La délégation de pouvoirs est nécessairement temporaire : elle ne peut pas avoir une durée illimitée. En revanche, elle peut avoir une durée indéterminée (c’est-à-dire que la durée n’est pas connue mais elle prendra nécessairement fin, elle ne sera pas illimitée).
L’ensemble de ces conditions permet de transmettre au délégataire la responsabilité encourue normalement par le dirigeant.
Les conditions du caractère exonératoire pour la responsabilité pénale
Les conditions pour que la délégation emporte le transfert de la responsabilité pénale du délégant au délégataire sont les suivantes :
- Le délégant ne doit pas avoir pris part personnellement à l’infraction.
- La délégation de pouvoir est antérieure à la commission de l’infraction, elle a été acceptée par le délégataire, et la délégation est certaine et exempte de toute ambiguïté (d’où l’importance d’un écrit).
- Le délégataire est pourvu de la compétence (un délégataire qui n’aurait que quelques mois d’ancienneté dans la structure ne saurait être considéré comme pourvu de la compétence nécessaire), de l’autorité (le délégataire doit être une personne qui sera écoutée sur un plan hiérarchique et bénéficiant d’une autorité naturelle), et des moyens nécessaires pour exercer effectivement les pouvoirs délégués.
Il dispose de l’indépendance nécessaire pour prendre seul les décisions relatives à l’exploitation et possède des connaissances techniques suffisantes. - Le délégataire ne doit pas être soumis à une interdiction de gérer.
4 étapes pour mettre en place une délégation de pouvoirs
En pratique, le dirigeant doit procéder par étapes :
- Recenser les domaines transférables.
- Élaborer la délégation avec l’expert du domaine et un juriste.
- Recueillir l’acceptation du délégataire.
- Suivre les délégations, plus particulièrement en cas de changement de nomination des dirigeants (le changement de direction peut rendre la délégation caduque).
La délégation est temporaire
La démission ou le décès du délégant n’affecte pas la validité de la délégation. En revanche, il convient d’être vigilant en cas de transformation de la société.
En effet, si l’organe de direction est différent (que l’on passe d’un gérant à un président par exemple), il conviendra de régulariser une nouvelle délégation.
De la même manière, il convient d’être vigilant en cas de transmission universelle de patrimoine (TUP), notamment dans le cadre des opérations de fusion-absorption.
Par ailleurs, il convient de demander des comptes régulièrement à son délégataire afin de s’assurer que les conditions initiales de la délégation sont toujours remplies.
Les limites de la délégation de pouvoirs
- La délégation de pouvoirs permet le transfert de la responsabilité pénale. En revanche, s’agissant de la responsabilité civile, c’est la société qui reste responsable. La responsabilité civile ne se transmet pas.
- Le chef d’entreprise reste responsable des faits auxquels il a personnellement participé. Il reste responsable des faits en dehors du périmètre de la délégation.
- La délégation n’exonère pas la responsabilité pénale de l’entreprise.
- De nombreuses délégations de pouvoirs sont écartées par le juge pénal.
3. Les assurances délivrées par la MAF protègent les agences et leurs dirigeants
En complément de ce contrat très complet, la MAF propose à ses adhérents un panel de contrats pour compléter leur sécurité, à savoir :
1. Le contrat Responsabilité civile professionnelle à l’égard des tiers (RCT)
Il s’agit d’offrir une 2e ligne de garantie, après épuisement du plafond du contrat de base. Il a vocation à s’appliquer dans le cadre des réclamations des tiers, parfois très importantes (par exemple : dommages corporels graves).
2. Le contrat Protection juridique professionnelle (PJP)
Il s’agit d’accompagner les adhérents dans le cadre de certains litiges de leurs agences autres que leur responsabilité professionnelle (par exemple : recouvrement d’honoraires, droits d’auteur, etc.).
3. Le contrat Responsabilité du chef d’entreprise (RCE)
Il s’agit d’un contrat qui vise à prendre en charge des dommages causés aux tiers dans le cadre de l’exercice de l’activité de l’agence, en dehors de toute responsabilité professionnelle (perte de documents, bris par un salarié d’un objet de valeur, etc.).
4. L’assurance du dirigeant
Le contrat assure une protection du patrimoine du dirigeant en cas de mise en cause à la fois de la société et de son dirigeant en son nom propre.
5. L’assurance Homme-clé
Il s’agit de garantir le préjudice que causerait à l’entreprise le décès de son dirigeant par le versement d’une indemnité.
6. Le contrat de Cybersécurité
Il s’agit de couvrir l’assistance technique, juridique et opérationnelle, frais d’investigation, remboursement de la cyber extorsion, frais supplémentaires d’exploitation et de reconstitution de données.
1. Parties I et II
2. Partie III
3. En effet, la profession d’architecte n’est pas concernée par la réforme de l’exercice en sociétés des professions libérales issue de l’ordonnance du 8 février 2023 (n° 2023-77) qui entrera en vigueur le 1er septembre 2024. À compter de cette dernière date, les professions juridiques (avocats, notaires, commissaires de justice, administrateurs et mandataires judiciaires) ne pourront plus constituer de sociétés commerciales traditionnelles et devront nécessairement créer des SEL (sociétés d’exercice libéral) et choisir ensuite entre les formes proposées : SELARL ; SELAFA ; SELAS ; SELCA.
4. Action sociale menée à titre individuel par un actionnaire ou un associé dans l’intérêt de la société.
5. Délégant : personne qui délègue quelque chose. Délégataire : personne à qui l’on délègue quelque chose.
Sur le même sujet
27 novembre 2024
Fin de chantier : "Le DGD tacite présente un danger pour le maître d'œuvre"
26 novembre 2024