Dans un contexte technique évolutif, le bureau de contrôle contribue à la prévention des aléas techniques sans prescrire de solution. L’innovation passe par une collaboration constructive entre le maître d’œuvre et le contrôleur technique.
Contrôle technique : comment collaborer pour innover ?

Le contrôle technique construction trouve son origine dans la maîtrise des risques liés à l’innovation. De nombreux sinistres survenus dans le développement des techniques de béton armé ont mis en évidence, dès 1928, la nécessité de mettre en place des garanties pour couvrir les responsabilités des constructeurs.


En contrepartie, les assureurs ont imposé aux constructeurs d’organiser l’inspection et le contrôle de l’exécution des travaux pour sécuriser l’innovation sur les chantiers. Ainsi, le premier bureau de contrôle a été créé en 1929 par les architectes et les syndicats d’entreprise sous le nom de Bureau Sécuritas. « Le principe est que l’assureur garantit certains risques sous réserve qu’il y ait une tierce partie qui veille à l’inspection et au contrôle des travaux », rappelle Cyril Decaudin, responsable de l’agence Hauts-de-France chez Alpes contrôles1.


En 1968, Adrien Spinetta, ingénieur des ponts et chaussées, préconise de séparer l’activité de contrôle technique de celle du conseil, de la construction et d’expertise. Dix ans plus tard, la loi sur l’assurance construction qui porte son nom2 entérine ces distinctions et conserve le principe de la tierce partie chargée de la prévention des risques en l’adaptant à la toute nouvelle assurance Dommages-ouvrage : désormais, c’est l’assureur qui préfinance et assume le risque, et il apporte sa garantie sous réserve que le maître d’ouvrage mette en place une organisation qui veille à la prévention des aléas techniques sur son opération. Cette prévention est incarnée par le contrôleur technique construction (CTC) associé à l’autocontrôle des constructeurs. Le CTC intervient par sondages tandis que l’autocontrôle est exhaustif.

 

L’intervention calquée sur l’analyse de risques

Rappelons que le CTC procède, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, à l’examen critique de l’ensemble des dispositions techniques du projet. Pendant les travaux, il s’assure que les vérifications qui incombent à chacun des constructeurs s’effectuent de manière satisfaisante.


Son rôle n’est pas d’assurer une présence permanente sur le chantier, ni de vérifier tous les ouvrages exécutés. Il n’intervient que ponctuellement sur la base de l’analyse de risques qu’il définit en phase PRO/DCE. Sur le chantier, il effectue des sondages aux étapes clés et s’assure que les constructeurs réalisent leurs autocontrôles. « Le CTC analyse les risques de l’opération et, fort de sa connaissance en pathologie des bâtiments, recherche l’erreur probable sur les dispositions importantes du projet », rappelle, Cyril Decaudin, responsable de l’agence Hauts-de-France chez Alpes contrôles.


Le logiciel utilisé par le bureau d’études est-il fiable ? Les hypothèses retenues pour le calcul sont-elles les bonnes ? L’entreprise peut-elle prouver que son contrôle interne pour le positionnement du ferraillage avant coulage du béton est réalisé par une personne compétente ? Le CTC cible des points particuliers, mais il n’est pas chargé du contrôle de la bonne exécution des tâches sur le chantier.


À la vue des réponses apportées par les constructeurs, il rend un avis au maître d’ouvrage et le communique au maître d’œuvre. « Le CTC qui émet un doute sur l’ouvrage – avis suspendu – ou un avis de nonconformité doit susciter l’analyse critique de la situation par le maître d’œuvre », recommande François Geney, directeur technique et qualité d’Alpes contrôles. Ainsi, l’impact sur l’ouvrage du problème technique soulevé, son caractère unique ou répétitif sur le chantier, ce qu’il révèle sur la compétence de l’entreprise, la solution à apporter… relèvent exclusivement de l’analyse du maître d’œuvre.

 


Ni maîtrise d’œuvre ni prescription !

« Le CTC ne peut apporter la solution car il n’est pas maître d’œuvre, mais il peut toutefois participer à la résolution d’un problème en apportant un principe de solution », nuance François Geney. En clair, indiquer la nécessité de réaliser une paroi coupe-feu 2h consiste à énoncer un principe ; tandis que prescrire un mur de blocs de béton enduit aux deux faces avec telles références de produits revient à donner la solution. « Dans les contrôles effectués en vue de la délivrance des agréments aux bureaux de contrôle, le ministère voire le COFRAC3, sont particulièrement vigilants sur le fait que les bureaux de contrôle ne doivent pas faire de maîtrise d’œuvre ni de prescription », précise le directeur, qui poursuit : « Mais le maître d’œuvre peut solliciter le bureau de contrôle sur un principe de solution. Il en résulte une collaboration parfois utile et intéressante pour sortir le chantier d’une impasse, voire pour aboutir à une innovation.»


En cas de non-conformités relevées dans le rapport technique par le CTC – et non levées – débouchant sur un sinistre de nature décennale une fois la réception prononcée, la sanction de l’assureur d’entreprises sera sans appel : ce dernier refusera d’apporter sa garantie pour un vice « non caché » car identifié par le CTC. Rappelons que pour accorder sa garantie en dommages-ouvrage, l’assureur apprécie la connaissance de la cause du sinistre par les constructeurs au moment de la réception des travaux. Pour l’architecte qui n’a pas pris en compte l’avis défavorable dont il avait la connaissance, le risque est d’avoir à prendre en charge le sinistre si l’assureur de l’entreprise n’accorde pas sa garantie.

 


Se mettre au diapason du chantier

Le CTC est parfois à l’origine d’un dysfonctionnement : c’est le cas lorsqu’il formule un avis une fois l’ouvrage achevé ; ou lorsqu’il ne rend pas son rapport final avant la réception de travaux et dans lequel apparaissent de nouvelles non-conformités ; ou encore, lorsqu’il est confronté à un vide normatif dans un domaine technique sujet à des interprétations (tel que la construction bois au-delà d’une certaine hauteur4). Le CTC doit bien évidemment être expérimenté et se mettre au diapason du chantier. Rappelons que, si l’architecte ne peut le diriger, le maître d’ouvrage détient en revanche un « pouvoir de police » pour veiller au bon accomplissement de sa mission : « Le pouvoir de coercition est entre les mains du maître d’ouvrage, qui est partie constitutive des contrats », rappelle François Geney.


En cas de problème, la seule façon d’agir de l’architecte est d’écrire à son client. Il sera en mesure de démontrer, le jour d’une éventuelle expertise, qu’il a alerté le maître d’ouvrage des risques qui se présentaient à lui du fait de la défaillance du contrôle technique et qu’il l’a informé des décisions à prendre : autrement dit, qu’il a rempli son devoir de conseil. « Confronté à une entreprise qui travaille mal, à un CTC qui ne remplit pas sa mission et à un maître d’ouvrage qui fait l’autruche, l’architecte peut toujours mettre un terme à son contrat de maître d’œuvre », remarque Michel Klein, directeur des sinistres à la MAF. Le faible nombre de visites sur le chantier du CTC ne l’exonère pas de sa responsabilité contractuelle : « La présence sur le chantier et la rémunération de la mission n’ont pas de liens directs avec sa responsabilité », rappelle Michel Klein, qui note que, contrairement à l’architecte, le CTC n'est pas tenu d'une obligation générale de conseil et d'information à l'égard du maître de l'ouvrage5. Son absence résulte généralement d’un contrat mal calibré en moyens : « Si la mission confiée au CTC est creuse, il y a de bonnes raisons que le rapport final le soit tout autant », avertit François Geney. Mais attention : « Par ses avis, ou son absence d’avis, le contrôleur technique n’exonère pas la responsabilité des constructeurs », conclut le spécialiste  d’Alpes  contrôles.

 


Le Permis d’innover libère l’innovation

La loi ESSOC crée le Permis d’innover6 dont le principe général consiste, après études d’une « solution d’effet équivalent », à déroger aux règles de construction en vigueur. Une première étape provisoire du dispositif, entrée en vigueur en mars 2019, est limitée à l’innovation dans certains domaines. La seconde étape, définitive et ouverte à tous les domaines de la construction, verra le jour mi-2021 après réécriture du Code de la construction et la publication de décrets.

« À titre d’exemples, la loi ESSOC pourrait permettre d’utiliser le sprinklage pour la sécurité incendie des logements, ou de mettre en place la ventilation mécanique par insufflation, suggère François Geney, directeur technique et qualité d’Alpes contrôles, l’idée étant d’utiliser une solution d’effet équivalent (SEE) libérant les constructeurs de certaines contraintes sans remettre en question le niveau de qualité et de protection incendie actuel. »  Il sera ainsi également possible de déroger au Code du travail – dans lequel il est particulièrement difficile d’innover –, à l’Eurocode7 (conception et dimensionnement des structures pour leur résistance aux séismes), à la réglementation sur la ventilation des logements, aux règles sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite… sans baisser les performances des bâtiments. À la clé, les maîtres d’ouvrage peuvent espérer jouer sur les coûts de construction et d’exploitation, mieux prendre en compte l’écologie, améliorer l’architecture et la qualité des constructions… en recourant à de nouveaux référentiels dont l’effet équivalent est démontré, qu’ils soient totalement innovants ou non, déjà existants mais non autorisés, issus de réglementations étrangères…


« On ne déposera pas un permis d’innover pour mettre au point un nouveau produit mais pour concevoir différemment un ouvrage : il sera possible d’obtenir un permis d’innover avec des produits traditionnels…8Si l’ingénieur parvient à diviser par quatre les exutoires de fumée en démontrant que la charge thermique dans l’atrium le permet, il dérogera à la réglementation dans le cadre d’ESSOC sans pour autant utiliser un nouveau produit », illustre François Geney.

 

1. Alpes contrôles : contrôle technique de construction ; coordination sécurité et protection de la santé ; environnement ; diagnostics immobiliers ; vérifications réglementaires en exploitation.

2. Loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction.

3. Certains bureaux de contrôle choisissent volontairement la certification COFRAC en plus de l’agrément ministériel pour certaines missions. Mais pour établir le rapport de vérifications réglementaires après travaux (RVRAT) des IGH, l’État impose l’accréditation COFRAC.

4. Voir notamment « Construction bois de plus de 8 m de hauteur – Retour d’expérience », par le pôle observation de l’Agence qualité construction et Envirobat Occitanie.

5. Cass. 3e civ., 14 mars 2007, n° 05-21.967. 

6. Appréciation technique d'expérimentation, délivrée par le CSTB.

7.L’article 49 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) généralise la possibilité de recourir à l’innovation dans les projets de construction.

8. Lire « L’innovation à l’épreuve des assurances d’entreprise » dans MAF Informations n° 97.