Quelles menaces une construction hors site fait-elle peser sur les épaules des concepteurs ? Comment sécuriser l’intervention d’un fabricant ? Anne-Lise Gillet, responsable du service « hauts risques financiers » à la MAF, livre quelques conseils utiles pour sécuriser vos projets.
Construction

Souvent confondue avec la construction modulaire, qui en est une forme très avancée, la fabrication hors site d’éléments intégrés à un projet va de la simple poutre aux façades les plus complexes, livrées prêtes à poser. Derrière cette pratique, loin d’être récente mais en plein essor, se trouvent des réponses aux enjeux de demain : limitation des nuisances, accélération des délais de production ou encore réduction de l’impact sur le climat. 

Sur le terrain, il faut partager le projet … et les responsabilités avec des acteurs dont leur statut juridique et leurs modalités d’assurance ne sont pas toujours nécessairement facile à déterminer.  Voici donc quelques précisions indispensables à une contractualisation plus protectrice des intérêts des concepteurs, souvent trop exposés sans le savoir en cas de sinistre.

L’activité garantie : de la préfabrication à la réalisation des travaux 

C’est la pierre angulaire de la protection des entreprises et par voie de conséquence des maîtres d’œuvre. Si, à l’accoutumée, un professionnel est garanti dans le cadre de son activité, la construction hors site peut parfois brouiller les pistes entre les casquettes d’une entreprise à la fois en charge des travaux et de la préfabrication d’éléments. 

Ces deux activités distinctes doivent impérativement apparaître, nommément et clairement, sur l’attestation d’assurance de l’entreprise. « En l’absence de ces deux mentions distinctes, la Cour de cassation reconnait le droit à un assureur de ne pas accorder de garantie à son assuré au motif qu’elle n’assure pas l’une ou l’autre des activités » explique Anne-Lise Gillet. 

Une non garantie qui peut avoir de lourdes conséquences pour le maître d’œuvre. 

« Prenons l’exemple de la société A, sollicitée pour la réalisation d’une salle de bain dans laquelle il est convenu qu’elle installe des cabines de douche qu’elle aura fabriquées spécifiquement. Elle est alors en charge des travaux et de la préfabrication » illustre Anne-Lise Gillet.  

Avant de poursuivre : « un sinistre se déclare. Son origine ne fait pas de doute : la fabrication des cabines est incriminée. L’attestation d’assurance de l’entreprise A, alors demandée, est formelle et indique que celle-ci est couverte pour les activités d’aménagement de salle de bain. Son assureur, en application de la jurisprudence, opposera une non-garantie sous prétexte que l’activité garantie ne concerne pas la préfabrication. » 
 

« C’est à ce jour, une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui autorise un assureur, même au titre de la responsabilité décennale, à ne pas accorder une garantie à son assuré ! »

La condamnation in solidum du maître d’œuvre avec les autres intervenants est alors recherchée par le maître d’ouvrage au titre du principe de la solidarité à la dette de l’ensemble des intervenants.


Garanties spécifiques : les gestes qui sauvent les concepteurs

Une règle prévaut : « il faut toujours vérifier l’existence de garanties apportées par l’assureur sur l’activité fabrication/préfabrication ainsi que les montants indiqués » explique Anne-Lise Gillet.

Quelles sont ces garanties ?

  • La notion d’ « Éléments Pouvant Entrainer la Responsabilité Solidaire (des fabricants) » : (cf EPERS : qu’est-ce que c’est ? Comment le définir ?) En cas de sinistre post-réception, dû à un élément livré par un fabricant, cette garantie permet de couvrir le fabricant sur le fondement de la responsabilité décennale et de bénéficier de ladite garantie (le contenu de cette garantie étant d’ordre public). 
  • Frais de dépose et repose : cette garantie permet de couvrir le coût des travaux d’un sinistre (coût de la main d’œuvre pour déposer et reposer) lorsque la responsabilité du fabricant est engagée. Avant réception, là où les entreprises ne sont généralement pas garanties, cette garantie fabricant peut être une solution pour alléger l’in solidum en risque contre l’architecte. A noter : le produit en lui-même est souvent moins onéreux que les travaux de réparation. 
  • Garantie produit : comme son nom l’indique elle couvre le coût de remplacement du produit en lui-même ainsi que, parfois (selon les contrats d’assurance), les conséquences dommageables que celui-ci a pu occasionner à l’ouvrage (neuf ou existant). 
Exemple de sinistre et d’application de ces garanties

 

Un maître d’ouvrage confie à un architecte la construction d’un nouveau bâtiment. Dans le cadre de ce marché, la réalisation des murs est confiée à l’entreprise de gros œuvre qui recourt à des blocs préfabriqués intégrant un système d’isolation.

Alors que le chantier est presque achevé, l’entreprise de peinture s’aperçoit de l’apparition de fissurations disparates sur lesdits murs. L’entreprise de gros œuvre refuse de reprendre la réalisation des murs considérant que ces fissurations sont dues à un défaut dans la préfabrication du matériau.
Il apparaît que ces fissurations sont généralisées et nécessitent la reprise totale des murs impliquant des reprises sur d’autres lots déjà réalisés. L’entreprise de gros œuvre abandonne le chantier et tombe en liquidation judiciaire.

Le chantier est arrêté et une expertise est menée.

Il s’avère que les fissurations ont pour cause un défaut dans la préfabrication des murs mais également dans la mauvaise mise en œuvre faite par l’entreprise. 

Le coût est évalué à 250K€ pour la reprise des murs et à 100K€ pour la reprise de certains lots déjà réalisés et un préjudice pour retard dans la livraison du bâtiment.

Le maître d’ouvrage, face à l’absence de l’entreprise et de garantie d’assurance couvrant les propres travaux de l’entreprise en cours de chantier, va donc rechercher la responsabilité de l’architecte et la garantie de son assureur la MAF, au titre d’un défaut dans sa mission de suivi des travaux pour financer les 250K€. Toutefois, l’architecte, dont la responsabilité reste résiduelle par rapport à celle du fabricant et de l’entreprise, ne sera pas seul à supporter le coût de cette reprise car le fabricant dont la responsabilité est également engagée aura une garantie produit et une garantie « frais de dépose/repose ». Les 100K€ représentant le coût des dommages aux tiers pourront quant à eux être pris en charge par les assureurs de responsabilité civile des constructeurs concernés et donc par l’assureur de l’entreprise également.


EPERS : qu’est-ce que c’est ? Comment le définir ?

Introduit par l’article 1792 – 4 du Code Civil, « l'élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire (des fabricants) » (EPERS) institut une solidarité entre le constructeur (locateur d’ouvrage) et le fabricant. Ce dernier est alors solidairement tenu à une responsabilité décennale. La difficulté réside souvent dans sa qualification, que la jurisprudence définit autour de 4 critères :

  • Une partie de la conception est déplacée : le fabricant assume son process industriel. Les études qui pouvaient ordinairement être réalisées par l'entrepreneur ou le maître d'œuvre sont intégrées dans le produit fini. Il suffit alors d’incorporer le produit à l'ouvrage en respectant les directives du fabricant.
  • La prédétermination en vue d'une finalité spécifique d'utilisation : la conception, endossée par le fabricant, est développée pour un usage, une finalité spécifique d'utilisation.
  • La satisfaction, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance : le fabricant confère à son produit un souci de performance répondant aux exigences précises que l'on sera en droit d'attendre de l'ouvrage achevé.
  • La capacité du produit à être mis en œuvre sans modifications : l'intégration à l'ouvrage exclut toute modification du produit, que ce soit dans la forme (ajout ou suppression de matière) ou dans la pose (respect scrupuleux des règles de pose édictées par le fabricant qui rappelons-le, a conçu son produit pour un usage bien déterminé). 
Attention :

 

Selon la jurisprudence actuelle, les produits pré-calibrés proposés dans le catalogue d’un fournisseur ne sont pas considérés comme des EPERS. En revanche, si des modifications sont demandées selon des critères propres à un projet, alors la notion peut être engagée.
 

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