L’absence injustifiée d’une entreprise sur le chantier impose d’engager un processus qui conduit à son remplacement. L’architecte doit conseiller au maître d’ouvrage de se séparer d’une entreprise qui ne réagit pas à la première mise en demeure de poursuivre les travaux.
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C’est la bête noire des chantiers : l’entreprise défaillante qui abandonne les travaux. Quelques signes avant-coureurs ont pu éveiller vos soupçons : présence de personnels temporaires ; retards chroniques d’approvisionnements ; absence répétée aux rendez-vous ; menace d’arrêt de chantier ; demandes d’acomptes ne correspondant pas à l’avancement des travaux… sont les principaux marqueurs des défaillances.

Inutile de détourner le regard, la politique de l’autruche n’offre aucune issue favorable. La bonne démarche est celle qui prépare progressivement à la solution la plus radicale : la résiliation du marché en vue de la désignation d’une entreprise remplaçante.

Dans un premier temps, vous devez demander à l’entreprise de s’expliquer sur ses absences. Si son retrait répond à un défaut de paiement, vous organiserez une entrevue avec le maître d’ouvrage, pour obtenir rapidement un accord. Par mesure de sécurité, un coup d’œil sur Info greffe1 vous renseignera sur la situation financière de l’entreprise. Bien entendu, informez votre maître d’ouvrage en cas de difficulté majeure - procédure de sauvegarde en cours, redressement, cessation d’activité, liquidation… - et conseillez-lui de prendre un avocat pour faire valoir ses droits. D’une façon générale, consignez tous les constats d’absence de l’entreprise et autres dysfonctionnements dans le compte-rendu de chantier.

 

L’ARCHITECTE NE RÉSILIE PAS UN MARCHÉ DE TRAVAUX

Dans un deuxième temps, si l’entreprise a toujours pignon sur rue, procédez au constat contradictoire de défaillance, également noté dans le compte rendu de chantier, et mettez-la en demeure de reprendre les travaux dans les 24 heures (par lettre RAR2). Sans réaction de sa part, le maître d’ouvrage doit entrer en scène. Il met à son tour l’entreprise en demeure de reprendre les travaux dans un délai de 15 jours sous peine de résiliation du marché et de reprise du chantier par une autre entreprise (aux frais de la défaillante).

Enfin, dans un troisième temps et à l’expiration du nouveau délai, le maître d’ouvrage résilie le marché. Cette nouvelle lettre RAR convoque également l’entreprise à un constat contradictoire sur le chantier en présence du maître d’ouvrage, de l’architecte et d’un huissier de justice. À ce rendez-vous, vous assisterez l’huissier de justice dans la réalisation des constatations. Attention, ne perdez pas de vue que vous - architecte - n’avez pas le pouvoir de résilier un marché dans lequel vous n’êtes pas partie prenante.

Dans l’hypothèse où l’entreprise n’a plus d’existence légale, le maître d’ouvrage devra convoquer le mandataire liquidateur.

 

LE MAÎTRE D’OUVRAGE DÉCLARE LE SINISTRE À SON ASSUREUR

N’oubliez-pas de conseiller à votre maître d’ouvrage de faire une déclaration de sinistre a son assureur dommages-ouvrage. Vous établirez un bordereau estimatif et quantitatif des travaux restants à exécuter et des éventuels reprises/réparations d’ouvrage en vue de la consultation d’au moins deux nouvelles entreprises. Une fois celles-ci identifiées, le maître d’ouvrage notifiera à l’entreprise défaillante - ou au mandataire liquidateur - un compte de résiliation.

Préalablement à l’éventuelle résiliation judiciaire, vous aurez également conseillé au maître d’ouvrage d’effectuer une déclaration de créance auprès de l’administrateur judiciaire et de mettre ce dernier en demeure de se prononcer sur la poursuite du contrat en cas de redressement ou de liquidation3.

Enfin, ne perdez pas de vue que derrière cette procédure apparemment simple se cache la réalité du terrain et son lot de complications : c’est le cas avec un maître d’ouvrage qui fait la sourde oreille aux conseils de son architecte et laisse la situation se dégrader ; c’est également le cas avec une entreprise qui n’abandonne pas complètement le chantier pour tenter, par exemple, d’obtenir des paiements auxquels elle ne peut pas prétendre. Le risque le plus grave est là : l’entreprise se maintient en pointillé sur le chantier, multiplie les malfaçons et prépare les désordres à venir… Soyez vigilant : la réception de travaux ne devra pas ignorer ces malfaçons pour ne pas dégager la responsabilité de l’entreprise : vous conseillerez votre client pour qu’il valide les réserves que vous lui proposerez.

 

Le processus de résiliation en 9 points

  1.       Demandez à l’entreprise de s’expliquer sur son absence
  2.       Consignez les dysfonctionnements dans le compte-rendu de chantier
  3.       Réalisez un constat contradictoire de défaillance
  4.       Mettez en demeure l’entreprise de reprendre les travaux dans les 24 h
  5.       Demandez au maître d’ouvrage de mettre en demeure l’entreprise de reprendre les travaux dans un délai de 15 jours
  6.       Demandez au maître d’ouvrage de résilier le marché et de convoquer l’entreprise à un constat contradictoire sur le chantier
  7.       Conseillez au maître d’ouvrage de déclarer à son assureur dommages-ouvrage la défaillance de l’entreprise
  8.       Établissez le bordereau estimatif et quantitatif des travaux restants à exécuter
  9.       Demandez au maître d’ouvrage de notifier à l’entreprise le compte de résiliation

 

Changez d’entreprise : choix radical mais salvateur

Changer d’entreprise en cours de chantier a nécessairement des conséquences douloureuses pour le maître d’ouvrage… et pour le maître d’œuvre : perte de temps, surcoûts de travaux, perturbations dans la bonne marche du chantier et auprès des autres entreprises. Dans cette période troublée du chantier, ne négligez pas votre devoir de conseil vis-à-vis du maître d’ouvrage. Ce dernier a de bonnes raisons de tenter d’aller au bout de l’opération avec une entreprise défaillante, sachant qu’en cas d’échec il pourra se tourner vers vous, en recherchant votre responsabilité.

Mais ne lâchez rien ! Les magistrats reprochent à l’architecte - qu’ils considèrent à tort comme le « patron » du chantier - de ne pas prendre la décision d’arrêter les travaux.

En marché public, l’arrêt de chantier prendra la forme d’un courriel doublé d’un ordre de service ordonnant à l’entreprise d’arrêter les travaux. En marché privé, vous écrirez à votre maître d’ouvrage (lettre RAR) pour lui demander d’arrêter les travaux en lui rappelant que les conséquences d’un arrêt tardif seront à sa charge. Préalablement, prenez le soin de réunir les preuves - lettres RAR, comptes rendus, reportages photos… - qui vous permettront plus tard de justifier votre décision.

 

1. https://www.infogreffe.fr

2. Lettre recommandée avec avis de réception

3. La Boîte à outils chantier, chapitre 18 « Abandon de chantier/défaillance » sur https://www.maf.fr/la-boite-outils-de-la-maf-la-seule-qui-tient-dans-votre-poche