Le permis d’expérimenter « autorise provisoirement les dérogations aux règles de construction à condition d’innover et de proposer une « solution d’effet équivalent ».
En 2020, ce nouveau dispositif fera définitivement son entrée dans le code de la construction et de l’habitation, dont la réécriture convertira en objectifs de résultat les règles qui imposent le moyen d'y parvenir.
MAF Assurances

La construction est-elle à la traîne des nouveaux enjeux sociétaux ? Avec ses bâtiments fortement émetteurs de gaz à effet de serre, l’insuffisance du recours aux matériaux biosourcés1, le faible réemploi des produits de construction, un parc immobilier énergivore et coûteux…, le secteur cherche encore à accomplir sa complète révolution technologique. Et cela, malgré quelques beaux succès dans les bâtiments à énergie positive (Bépos).
Le gouvernement veut aller plus loin et « alléger les démarches et faciliter les parcours ». En cause, des règles de construction trop nombreuses, souvent figées et complexes. Avec la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (loi ESSOC)2, le cap fixé vise en particulier à « libérer les professionnels de la construction du poids normatif ». Pour une réponse rapide et complète, un dispositif en deux temps est mis en place.

 

Permis d’expérimenter

Dans l’immédiat, un « permis d’expérimenter3 » permet de déroger aux règles de construction – sur le plan technique comme sur le plan architectural – à condition que le maître d’ouvrage prouve que les moyens mis en oeuvre permettront d’atteindre au moins les résultats prévus par lesdites règles. C’est la « solution d’effet équivalent ». La technique est évaluée avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme puis le résultat vérifié à l’achèvement du bâtiment. Ce nouveau dispositif visant à faire progresser le secteur de la construction est prévu pour utiliser des moyens dont la mise en oeuvre n’est pas prévue par les dispositions constructives législatives et réglementaires applicables à l’opération.

Attestation d’effet équivalent

Les maîtres d’ouvrage doivent obtenir une « attestation d’effet équivalent » délivrée par le CSTB, le Cerema4, les laboratoires agréés en matière de sécurité incendie, ou les détenteurs d’un certificat de qualification dans le domaine de la maîtrise d’oeuvre, spécifiquement sur le domaine visé par la solution d’effet équivalent. Le maître d’ouvrage joint cette attestation à sa demande d’autorisation d’urbanisme (ou demande de création d’établissement recevant du public ou d’intervention sur un monument historique). Après vérification de la bonne mise en oeuvre des solutions innovantes proposées, le contrôleur technique délivre une attestation à annexer à la déclaration d’achèvement des travaux.
Les règles de construction qui pourront faire l’objet de dérogations concernent notamment la performance énergétique et le réemploi des matériaux (voir encadré) : les progrès sont particulièrement attendus dans ces domaines. Le décret déterminant les modalités d’application du permis d’expérimenter vient d’être publié le 12 mars5.

 

Objectif de résultat

Rappelons que ce nouveau permis abroge le « permis de faire ». Précédemment prévues dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016, les modalités d’application de ce dernier sont restées incomplètes.
Enfin, d’ici à un peu plus d’un an, le «permis d’expérimenter» fera son entrée dans le code de la construction et de l’habitation (CCH6) dont la réécriture partielle du livre 1er vise à clarifier le texte, à l’écourter, mais surtout à convertir en objectif de résultat les textes qui imposent le moyen d'y parvenir (voir l'avis de la MAF).

Les dérogations se feront à condition que le maître d’ouvrage prouve que les moyens mis en oeuvre permettront d’atteindre des résultats équivalant à ceux qui sont prévus par les règles de construction, mais sans que ces moyens ne présentent nécessairement un caractère innovant et sans qu’il n’y ait non plus de limitation à certaines règles de construction.
Rappelons qu’il s’agit là d’une alternative aux techniques courantes. Les maîtres d’ouvrage continueront sans doute massivement à suivre des solutions de référence déterminées à l’avance par le pouvoir réglementaire et les normes. Le fait de suivre les techniques courantes vaudra, comme c’est le cas aujourd’hui, présomption d’atteinte des résultats fixés par la loi.

 

L’AVIS DE LA MAF, PAR MICHEL KLEIN, DIRECTEUR DES SINISTRES

« Évitons d’introduire de l’insécurité juridique dans le CCH »

« La MAF est associée, parmi d’autres organisations professionnelles, aux groupes de travail qui participent à la refonte du code de la construction et de l’habitation. Son objectif est d’aboutir à des textes qui définissent entre autre le plus clairement possible les modalités dans lesquelles les dérogations aux règles de construction sont possibles. La réécriture du livre 1er du code de la construction et de l’habitation pouvant générer de nouvelles interprétations juridiques, la MAF veille tout particulièrement à ce que cette réécriture se fasse à «droit constant». Son objectif est d’éviter d’introduire de l’insécurité juridique dans une situation aujourd’hui stabilisée. »

 

Techniques nouvelles et assurance

Lorsqu’un constructeur – architecte, bureau d’études, entreprise, promoteur – recourt à des techniques non courantes (hors DTU et normes), il est prudent qu’il se rapproche de son assureur pour vérifier que sa responsabilité est bien couverte. Si la MAF assure l’innovation architecturale sans limitation, ses adhérents doivent toutefois rester vigilants quant aux partenaires avec lesquels ils travaillent, en particulier avec les entreprises de construction, dont les contrats d’assurance excluent systématiquement les techniques nouvelles qui accompagnent généralement la création architecturale.
Dans le cas du recours à un procédé innovant permettant d’atteindre une « solution d’effet équivalent », l’assureur peut estimer que la technique non courante (TNC) à laquelle recourent les constructeurs est hors de couverture de sa police d’assurance.
Les architectes devront obtenir de l’entreprise l’attestation nominative de leur assureur pour l’opération qui déroge aux techniques courantes de construction. Cette attestation indique clairement les références de l’opération, son descriptif et le recours à la « solution d’effet équivalent ». À défaut, l’architecte pourrait se retrouver unique acteur solvable en cas de sinistre ultérieur.

Objectif de résultat

La réglementation actuelle du code de la construction et de l’habitation (CCH) est essentiellement rédigée dans une logique de moyens. Elle vise à recourir principalement aux solutions décrites dans les réglementations, DTU, normes et autres référentiels constituant les règles de l’art. Cette réglementation impose aux constructeurs de recourir aux solutions techniques élaborées dans le but d’obtenir des performances présumées. Ces solutions éprouvées sécurisent la construction mais la freinent dans la recherche et le développement d’innovations indispensables à l’adaptation rapide du secteur de la construction aux nouveaux enjeux environnementaux et sociétaux.
En réécrivant le livre 1er du code de la construction et de l’habitation, le gouvernement substitue aux prescriptions de moyens de l’actuelle réglementation des objectifs de résultats. Il cible les performances mesurables comme objectif et laisse ainsi la possibilité aux constructeurs d’élaborer des « solutions d’effet équivalant » des moyens existants, ouvrant, de la sorte, davantage le champ de la recherche et de l’innovation.

 

1. Matériaux intégrant une part de biomasse dans leur composition, c’est-à-dire de matières premières issues du végétal ou de l’animal, à l’exclusion des matériaux fossiles tels que le pétrole.
2. L’article 49 de la loi ESSOC habilite le gouvernement à zapper les assemblées et à prendre deux ordonnances : la première pour mettre en place le « permis d’expérimenter» (ordonnance 1) et la seconde pour réécrire le CCH (ordonnance 2).
3. Ordonnance 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation.
4. Cerema : Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement.
5. Le décret est téléchargeable sur https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/3/11/LOGL1834278D/jo/texte 
6. Le CCH regroupe les textes législatifs (articles L) et les dispositions réglementaires (articles R pour les décrets et A pour les arrêtés) concernant la construction et l’habitation. Cette codification a pour objet de classer les textes dans un sens logique, à droit constant.