Interrogée par MAFCOM sur la place de l’architecte sur le chantier, Brigitte Métra, architecte (Agence Métra + Associés), rappelle que la conception des projets s’enrichit par la pratique du chantier, avec la maîtrise de la mise en œuvre. Elle remarque que la rémunération de l’architecte est insuffisante pour accomplir une mission de base d’intérêt général.
Brigitte

MAFCOM : Quelle est la place de l’architecte sur le chantier aujourd’hui ?

Brigitte Métra : La mission de direction des travaux est de moins en moins confiée aux architectes. Et la mission d’étude « d’exécution » qui définit le projet dans tous ses détails lui est rarement confiée, contrairement à d’autres pays européens. Le manque de maîtrise du projet dans sa globalité par l’architecte peut entraîner un écart entre le projet conçu et le projet réalisé. Concevoir et mettre en œuvre sont deux éléments indissociables du processus architectural. Sans maîtrise de la mise en œuvre, la conception et la qualité du projet sont appauvries, voire dénaturées.

Sans que ce soit le principal moteur de la conception, il n’y a pas d’innovation sans maîtrise du processus architectural et technique. L’échange et le partage des savoir-faire entre l’architecte et les entreprises sur les chantiers enrichissent les projets. La place de l’architecte sur le chantier est donc essentielle.

 

La maîtrise d’ouvrage mesure-t-elle bien cet enjeu ?

En France, certaines maîtrises d’ouvrage souhaitent avant tout contracter les coûts et garantir les délais des projets, la qualité venant en dernier. Elles écartent l’architecte du chantier pour lui substituer un maître d’œuvre d’exécution dont la mission principale est de respecter ces coûts et ces délais. La qualité architecturale est parfois traitée comme superflue et non pas essentielle. Mais les maîtres d’ouvrages réalisent-ils qu’ils construisent le patrimoine de demain ? Les générations futures seront-elles fières de ce que nous leur aurons légué ?

Il est souvent reproché aux architectes la mauvaise qualité de réalisations dont on leur a retiré la maîtrise d’œuvre d’exécution.

Les maîtres d’ouvrages doivent proposer un cadre avec des coûts et des délais raisonnables, à respecter par tous, et qui permet d’obtenir un équilibre garant de qualité et de « durabilité ».

Les architectes, à leur tour, doivent s’adapter pour répondre aux attentes des maîtres d’ouvrage et à la complexité grandissante de leur métier, s’organiser pour bien maîtriser le processus du projet depuis la conception jusqu’à sa réalisation.

 

L’architecte peut-il concevoir un bâtiment sans diriger sa construction ?

Je suis favorable à ce que les missions de direction et de suivi de chantier soient toujours proposées aux architectes, à ceux qui le souhaitent bien sûr, car elles leur permettent de mieux maîtriser leur projet depuis la conception jusqu'à la réalisation. Les architectes pourraient refuser une mission de conception sans direction de chantier, mais très souvent ils n’ont pas le choix.

Aujourd’hui, notre profession a le devoir d’intervenir en amont pour que la culture professionnelle de l’architecte dont les honoraires ne représentent aujourd’hui que 1,5 à 2% du coût d’investissement d’une opération, soit respectée par la maîtrise d’ouvrage. Est-ce que ces 2%, attribués à l’architecte, représentent bien la valeur de l’architecture ? Non, c’est clairement insuffisant pour remplir une mission de qualité du cadre de vie dans la ville et de bien-être des personnes.

Malheureusement, ces ratios imposés aux architectes, qui souvent n’ont pas vraiment les moyens de refuser, sont devenus la norme. Heureusement, certains acteurs réalisent que cette tendance est allée trop loin et qu’il est impossible d’exiger la même qualité dans un cadre trop contraint pour les architectes.

 

Que faut-il faire concrètement pour sortir de cette situation ?

Il faut échanger, expliquer et attirer l’attention des maîtres d’ouvrage privés et publics sur l’importance et le contenu du travail de conception, souvent méconnu et incompris, pourtant essentiel à la création de la qualité du cadre de vie à laquelle tous sont attachés.

Réfléchissons et agissons ensemble, y compris au sein des organisations professionnelles - Ordre, syndicats - et avec tous les acteurs de la filière, pour valoriser les bonnes pratiques et trouver ensemble des solutions.

 

Les architectes sont-ils suffisamment formés à la pratique du chantier ?

Je n’avais aucune expérience de chantier en sortant de l’école d’architecture. La meilleure formation au chantier a été sa pratique. Aujourd’hui en France, la formation HMO des jeunes architectes est assez peu consacrée à la pratique du chantier, car difficile à organiser au sein des agences d’accueil. Nous devrions sans doute nous inspirer de certains de nos voisins européens. Au Danemark, en Suisse, en Espagne… la formation initiale est conceptuelle et intègre un enseignement sur les détails architecturaux et constructifs plus poussés.

En Belgique, aux Etats-Unis, l’étudiant obtient son diplôme après deux ans de pratique en agence d’architecture avec une culture du détail constructif plus poussée également. Et cela après un enseignement théorique où il apprend essentiellement à penser, imaginer et concevoir.