Bonjour, Philippe, merci de nous accueillir !
Bonjour à tous ! Je vous propose de découvrir l’univers d’ALEP, pour Atelier Lieux Et Paysages, un bureau d’études spécialisé en paysagisme que j’ai fondé en 2003 avec Juliette Hafteck, également paysagiste.
Niveau paysage, vous maîtrisez votre sujet…
Oui, notre bureau est situé à Cadenet, dans le Vaucluse (84), au pied du Luberon. C’est un privilège de travailler ici, au coeur de la Provence.
Parlez-nous d’ALEP.
Nous sommes attachés à la vision des sites, à leur épaisseur et à l’histoire que l’on souhaite y raconter. Ils sont tous bavards et nous parlent de ce qu’ils ont vécu. Charge à nous de les écouter pour mieux les raconter. Une fois que l’on a dit ça, on en a dit beaucoup et peu à la fois ! (Rires).
Ce que je veux dire par là, c’est que nous intervenons à plusieurs échelles sur un même site et avant tout à celle du vivant.
C’est le point de départ du métier de paysagiste, qui ne peut s’affranchir ni de la géographie, ni de la géologie, ni de l’hydraulique et encore moins du climat. Il s’agit donc de comprendre où nous sommes, et ce que le vivant permet ici.
L’objectif est de créer ou d’améliorer les conditions pour que les trames vertes et bleues se développent.
Tous ces éléments, consubstantiels à un projet, le nourrissent et permettent de l’intégrer dans son contexte.
Vient ensuite la narration du lieu. Elle est chaque fois différente. Prenons un exemple : l’ancienne usine Nobel à Port-Vendres, où l’on a produit des tonnes de dynamite pendant plus de cent ans. Parce qu’industriel, le contexte est ici on ne peut plus artificiel.
Et pourtant, lorsqu’il s’agit d’offrir une nouvelle vie à cet écrin, vous ne pouvez pas oublier le cadre exceptionnel dans lequel vous êtes, au cœur des Pyrénées-Orientales. Chez ALEP, nous attachons une attention particulière à la mémoire de ces lieux et à la manière dont nos projets leur permettent d’y rester fidèles et contemporains.
Et enfin, le parcours. C’est le troisième axe de notre travail, celui qui restera finalement le plus pour les visiteurs. La manière dont on pense un parcours a une incidence directe sur la manière dont un lieu se révèle.
Des projets d’envergure à l’occasion desquels vous croisez d’autres concepteurs ?
Effectivement ! Notre approche nous conduit à travailler avec des architectes, des urbanistes, des naturalistes, des concepteurs lumières, des artistes, des géologues, des bureaux d’études structures… Toute la panoplie qui peut composer de près ou de loin la maîtrise d’œuvre, réunie dans une équipe dont nous sommes régulièrement les mandataires !
« Nous sommes attachés à la vision des sites, à leur épaisseur et à l’histoire que l’on souhaite y raconter. »
Un rôle que vous acceptez volontiers ?
Oui. Nous sommes très régulièrement mandataires de nos projets, et ce même lorsque le budget du bâtiment est supérieur à celui du paysage. C’est souvent une demande du maître d’ouvrage lui-même.
Je pense par exemple au projet de rénovation des neuf écluses de Fonseranes, où le canal du Midi enjambe un dénivelé de 21,5 mètres avant de plonger dans Béziers, la ville natale de Riquet, son concepteur. Nous étions ici mandataires alors même que le cadre bâti y est conséquent et composé des écluses en elles-mêmes, des restaurants, des bâtiments de services, etc.
Pourquoi alors demander au paysagiste d’être mandataire ?
Il me semble que cela traduit l’importance à donner au paysage dans son ensemble. Cette volonté de nous donner le brassard de capitaine raconte le désir de travailler particulièrement sur l’immersion et l’intégration du projet dans son site.
Une vision que vous portez plus facilement que les architectes ?
Notre vision est davantage portée sur le paysage et son harmonie, sur le dialogue qu’entretiennent les différents éléments. Est-ce à dire que l’architecture doit être en retrait ? Certainement pas ! Au contraire. Comme dirait Frank Gehry, « nous n’avons pas honte de faire de l’architecture ».
Faut-il comprendre dans cette citation que vous avez également été mandataires de Frank Gehry ?
Oh non ! (Rires) Certainement pas !
Mais vous l’avez côtoyé à l’occasion du projet de requalification complète du Jardin d’acclimatation et des jardins de la Fondation Louis Vuitton, dans le bois de Boulogne…
Tout à fait. C’est un projet qui a débuté en 2005 et demeure un bel exemple de ce que l’on peut poser comme questions à un paysagiste.
L’idée était de remplacer l’ancien bowling du Jardin d’acclimatation par un lieu dédié à l’art lové dans un bâtiment signature. Une telle intégration en plein cœur du bois de Boulogne, aux portes de Paris, dans un environnement soumis
à la loi de 1930, où on ne peut pas déplacer un arbre, rempli d’histoire et dont les servitudes ne sont pas légères… cela demande une approche spécifique.
Celle d’un paysagiste.
Travailler à l’intégration d’un édifice lorsque l’on ne sait rien de lui, complexe, non ?
C’est une belle mission ! Comment aborder le travail de couture, de mise en scène et de relation à l’existant de façon itérative ?
En revanche, nous pouvions nous pencher sans attendre sur le contexte paysager. Et il est ici d’une densité exceptionnelle.
L’esprit du XIXe siècle du Jardin d’acclimatation transpire dans l’architecture gourmande de Frank Owen Gehry. Tout est pensé pour que le paysage se révèle différemment en fonction des différents points de vue.
Cela se sent dans la manière dont se découvrent les cadrages, la souplesse des courbes au cours de la déambulation.
Lorsque nous avons commencé à travailler avec l’équipe de Frank Gehry, nous avons joué pleinement sur la correspondance assez géniale qu’il existe entre le Jardin d’acclimatation et l’architecture déconstructiviste de l’architecte canadien.
« La prise de conscience sur le potentiel manque de ressources est collective. »
Je crois savoir que l’histoire n’est pas terminée avec lui ?
Effectivement, nous avons la chance de poursuivre notre collaboration, au même endroit, puisque désormais nous travaillons sur la nouvelle vie de l’ancien musée des Arts et Traditions populaires, fermé en 2005. Il est appelé à devenir la Maison LVMH : Arts, Talents, Patrimoine. Nous sommes associés à l’agence Dubuisson Architecture qui est à la manœuvre pour cet ensemble architectural qui fera face à la Fondation.
Encore un très beau projet autour duquel nous travaillons sur la lisibilité de l’ensemble en créant une clairière côté Jardin d’acclimatation qui répondra à celle que nous avons réalisé côté Fondation.
En R-1, une grande salle s’ouvrira directement sur un théâtre de verdure…
Entre ce que désire la maîtrise d’ouvrage privée et les contraintes de la maîtrise d’ouvrage publique, il doit parfois y avoir un monde… ?
Nous travaillons autant avec l’une qu’avec l’autre. Nous les connaissons donc toutes deux très bien.
Je suis extrêmement attaché à l’idée d’œuvrer « pour le plus grand nombre » et d’intervenir concrètement dans le quotidien des gens, de conserver ou non cet arbre à l’ombre duquel s’asseyent des riverains, cette fontaine qui marque l’identité d’une place…
Mais les commandes changent énormément, c’est évident.
Racontez-nous ça.
Lorsque nous travaillons sur un espace public, la question est de savoir ce que souhaite raconter la ville. Et aujourd’hui, les demandes tournent toujours autour des mêmes sujets : comment pouvez-vous reconstituer un îlot de fraîcheur ?
Comment offrir davantage d’ombre aux habitants ? Comment perméabiliser les sols ? Comment créer un espace agréable qui nécessite peu d’entretien et pas d’eau ?
Autant vous dire qu’il y a ne serait-ce que 5 ans, aucune de ces questions ne se posait. L’approche était beaucoup plus interventionniste.
Tout était permis et s’il fallait changer les sols, on changeait les sols.
Le paradigme a aujourd’hui beaucoup changé. Pour reprendre les mots de mon ami Gilles Clément, paysagiste, nous devons « faire le plus possible avec et le moins possible contre ». Même les maîtres d’ouvrage privés, avec d’importants moyens, comprennent que l’on ne peut plus faire comme avant.
La prise de conscience sur le potentiel manque de ressources est collective.
Ce qui sonne plutôt comme une bonne nouvelle non ?
Bien sûr, c’est d’ailleurs pour ça que je vous en parle ! Désormais, la récupération des eaux de pluie, et parfois même des eaux grises, est systématiquement intégrée à nos projets afin d’être réutilisables par les jardiniers.
Autre exemple : les sols perméables. Sous prétexte de faire « négligés », ces revêtements n’intéressaient personne.
Désormais, les municipalités font la promotion de la tonte différenciée dans les jardins publics ou dans les parcs.
Toutes ces mesures ne sont plus seulement tolérées, elles sont valorisées.
Cette nouvelle donne change-t-elle quelque chose à votre manière de travailler ?
En tant que professionnels du secteur, ce ne sont pas des éléments que nous découvrons. La différence réside dans le plan d’entretien d’un projet qui occupe désormais une place importante dans les concours. Aux traditionnels DOE et DIE s’ajoute ainsi la vision complète sur la vie d’un site, avec les cahiers d’entretien et de gestion que nous développons, par exemple pour le futur grand parc urbain de Nîmes, avant le début des travaux...
Encore une fois, c’est pour le mieux. Et cela a le grand avantage de pérenniser notre travail.
Quelle est votre plus grande fierté depuis que vous exercez ce métier ?
J’aime me promener sur les sites que nous avons conçus. C’est l’occasion de tendre l’oreille pour comprendre comment les gens appréhendent notre travail. C’est la plus belle des récompenses…
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05 décembre 2024