L’agence SCAU, ce sont plus de 50 années d’une histoire jalonnée de projets ambitieux, d’associations, de transmission et d’évolution du modèle. Mais lorsqu’en avril 2024 on pose un micro sur le bureau de Mathieu Cabannes, associé, un sujet revient vite : l’Adidas Arena, située porte de la Chapelle à Paris.
Adidas Arena

Et pour cause, l’édifice dépasse largement le cadre olympique qui le fera vibrer lors des JO de Paris : plus qu’une enceinte sportive, il est le marqueur d’un quartier qui laisse derrière lui sa sulfureuse réputation. Alors forcément, nous avons parlé de SCAU, mais surtout de l’Adidas Arena…

Mathieu CabannesBonjour Mathieu, merci de nous accueillir aujourd’hui. Commençons par faire plus ample connaissance.

Bonjour à tous ! Très heureux de vous ouvrir les portes de notre agence, SCAU, pour « Société de Conception, d’Architecture et d’Urbanisme », fondée en 1971 par un groupe d’architectes. Si à l’époque il s’agissait surtout d’une mutualisation de moyens, humains et matériels, le modèle a évolué par étapes au fil des décennies.

Au gré des transmissions successives, nous avons basculé vers un format d’agence beaucoup plus intégré, qui partage tout : son nom, ses équipes et ses questionnements.

Quand avez-vous rejoint la structure ?

En 2012. D’abord en tant que directeur du développement international, avant qu’on ne me propose de m’associer.

Ce que j’ai fait en 2016.

Nous sommes désormais six associés à la tête de l’agence, mais également dans le quotidien des projets : Guillaume Baraïbar, Maxime Barbier, Bernard Cabannes, Luc Delamain, François Gillard et moi-même.

Chaque commande est prise en charge par plusieurs d’entre nous. Cela nous permet de partager les points de vue et de confronter les hypothèses dès les premiers pas du projet. Il nous semble que c’est là une des conditions de leur réussite.

Avec le temps et l’expérience, des équipes plus spécialisées se dessinent en fonction de la typologie de la commande. Lorsqu’il s’agit de travailler sur un projet hospitalier, nous avons tendance à travailler à trois avec Guillaume et Bernard.

En revanche, pour un projet sportif, le trio se compose de Luc, Maxime et moi-même.

C’est avec eux que vous avez travaillé sur l’Adidas Arena ?

Tout à fait. Du moins pour ce qui est de l’équipe SCAU. Car il ne faut pas oublier que nous avons oeuvré en étroite collaboration avec l’agence NP2F, à laquelle nous étions associés sur ce projet.

Justement, ce projet : pouvez-vous nous le présenter ?

Avec plaisir !

C’est d’ailleurs intéressant d’en parler maintenant, après sa livraison, avec plus de recul. Il faut d’abord le recontextualiser : l’Arena est un morceau d’un ensemble bien plus vaste, dépassant le concours auquel nous avons répondu.

Le quartier de la porte de la Chapelle n’était pas connu pour son Arena et son architecture…

Porté par la Ville de Paris depuis de nombreuses années, ce projet est celui d’un quartier dont tous les aspects sont modifiés, bouleversés, améliorés. En me plongeant dans ce dossier, j’ai pris la mesure de sa très grande cohérence, bien au-delà de l’aspect architectural.

Tout ici entre en résonance : l’ambition politique, le choix du site, le projet architectural, la perspective d’exploitation, le projet commercial (Adidas s’est engagé cinq ans sur le naming et le versement d’une participation financière destinée au tissu associatif local, N.D.L.R.), et, bien sûr, le projet sportif en lien avec le club du Paris Basketball.

Le tout dans un quartier à la réputation sulfureuse…

Absolument ! Jusqu’à peu, le quartier de la porte de la Chapelle n’était pas connu pour son Arena et son architecture…

C’est en cela que je salue la grande cohérence du projet. Notre réponse a essayé de lui être la plus fidèle possible.

De quelle façon ?

Dans sa conception même. Je pense particulièrement aux 2 400 m2 de locaux commerciaux qui seront exploités par des commerces de proximité, des restaurants et des activités culturelles. Ils traduisent notre désir de tourner l’Arena vers son quartier.

Au-delà des surfaces commerciales, de grandes façades vitrées sur deux niveaux et sur les quatre faces du projet s’adressent à tous les côtés de la ville. Tout cela raconte la proximité que le projet veut entretenir avec son quartier : il devient une Arena qui offre des services du quotidien.

Pour autant, il fallait donner un impact à cette réalisation : c’est un symbole, un bâtiment repère qui marque un nouveau visage pour l’entrée de la Métropole dans un contexte urbain où se côtoient le périphérique, un viaduc du Grand Paris Express et des immeubles de grande hauteur.

C’est ce que notre réponse traduit également avec cette grande terrasse ouverte à tous qui court sur tout le tour de l’édifice. C’est un espace unique pour ce genre d’équipements. Même aux États-Unis, ils n’ont pas ça ! (Rires)

Qu’est-ce qui vous a valu de remporter le concours, à votre avis ?

C’est une excellente question que l’on se pose souvent ! A fortiori lorsque l’on ne le remporte pas. (Rires)

Il me semble que c’est toujours un faisceau de raisons, parmi lesquelles l’adéquation entre un projet architectural et un projet politique.

Notre réponse proposait une réalisation ouverte, transparente, humble dans son intégration, qui ne gesticulait pas et qui répondait à la commande.

Le 11 février dernier, vous avez remis les clés à Madame la maire de Paris à l’occasion de l’inauguration et du tout premier événement de l’enceinte (match de basketball entre le Paris Basketball, club résident, et Saint-Quentin, N.D.L.R.). Avec le recul, qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette aventure ?

C’est une très bonne question et je ne pense pas que, dans l’équipe, nous vous donnions tous la même réponse.

Pour ma part, je garde un souvenir très fort du concours en marché global de performance qui se déroulait en deux phases : un premier rendu suivi de retours, puis une offre finale.

La logique veut que le projet lauréat soit le mieux ficelé, dans sa conception autant que dans ses coûts. Or tout cela repose sur une certaine forme de stabilité afin que l’entreprise ait le temps de négocier les meilleurs prix.

Nous nous sommes un peu éloignés de cette approche…

C’est-à-dire ? Vous avez apporté de nombreux changements ?

Nous l’avons même complètement revu ! En réfléchissant avec l’ensemble de nos partenaires, nous avons questionné notre choix programmatique, balayé toutes les options possibles, avant de décider de repenser toute l’esquisse du projet en quelques semaines seulement.

Ce fut une période mouvementée, mais je suis persuadé que c’est ce qui nous a permis de l’emporter.

Comment s’est déroulé le chantier ?

Je l’admets bien volontiers : il a été remarquablement bien mené par les équipes de Bouygues. Une telle construction est complexe, par définition. Aux contraintes habituelles se sont ajoutées celles d’un quartier dense, sur lequel de nombreux travaux sont réalisés simultanément, les difficultés d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine (qui ont retardé la livraison de la charpente) et le planning extrêmement court : c’était un joli cocktail !

Un planning complexifié par la vocation olympique de l’Arena ?

Elle accueillera les épreuves de badminton, de gymnastique rythmique, puis de para badminton et de para-haltérophilie, N.D.L.R.)

Je ne dirais pas qu’il y a eu un effet Jeux olympiques : il fallait qu’elle soit livrée à l’heure, car c’est le principe d’un marché global de performance.

Nous avons repensé toute l’esquisse du projet en quelques semaines seulement.

Toutefois, il y a incontestablement eu un effet Jeux olympiques dans la collaboration et l’engagement de toutes les parties prenantes : Ville de Paris, architectes, entreprises…

Tout le monde avait cela dans un coin de sa tête et a travaillé dans le même sens pour remplir la mission de la meilleure manière possible.

Il me semble d’ailleurs que cela se retrouve dans la qualité et l’adéquation entre les images du concours et ce qui a été livré.

Il est là, le vrai effet Jeux olympiques !

Qu’est-ce que l’on ressent, lorsque l’on s’assoit dans la salle, comme un spectateur lambda, pour assister au spectacle ?

C’est un moment très émouvant. Pendant des années, on travaille sur un projet, et en quelques heures seulement, il s’anime, prend vie et accueille plus de 10 000 personnes qui y entrent, le découvrent.

Cette rapidité d’animation est spécifique à ces projets.

Tout s’est bien passé ?

A priori oui ! (Rires)

Vous êtes prêt pour une question sans transition ?

Pas certain, mais ai-je le choix ?

Qu’auriez-vous fait si vous n’étiez pas devenu architecte ?

Effectivement la transition est brutale. Il me semble que j’aurai pu être architecte dans le patrimoine. Ou dans le naval ! J’aime la question de la construction lorsqu’elle rend service.

Donc si vous n’étiez pas devenu architecte, vous seriez devenu architecte. On ne nous l’avait jamais faite celle-là ! Et qu’est-ce qui fait un bon architecte selon vous ?

La capacité d’écoute. Des personnes en premier lieu. Et de tout ce qui est de l’ordre du non-dicible. Le contexte, l’époque, l’esprit. Il me semble que l’essence même de l’architecture est de rendre service à nos sociétés humaines. Elle doit les aider à se développer, à tisser des liens, à fédérer, à raconter des histoires. Elle dépasse sa seule fonction.

Je pense que cette capacité d’écoute se nourrit d’une sensibilité dans la compréhension de ce dont les sociétés ont besoin afin de formuler des réponses adaptées.

Mais ça, bien souvent, on ne le sait qu’une fois que le projet est construit.

Quelle est votre plus grande fierté dans le métier ?

Les dernières questions sont décidément plus complexes que les premières ! Une chose me revient particulièrement en tête : on nous a complimentés plusieurs fois sur la qualité d’accueil à l’agence.

C’est une valeur à laquelle nous sommes très attachés. Si nous arrivons à mettre cette sensibilité dans nos réalisations, alors je serai un architecte très fier !

© Nicolas Grosmond

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