Quatre générations, quatre visions de l'architecture d'intérieur. Cette semaine, rencontre avec Claire Bataille qui a révolutionné le design belge dans les années 1960, découverte du savoir-faire artisanal de Didier Frémiot reconverti en ébéniste, plongée dans l'univers cartoon core d'Anthony Authier qui séduit les créateurs de contenu, et exposition exceptionnelle signée Jacques Grange autour de l'Art déco au Musée des arts décoratifs.
L’actualité des concepteurs : architectes d’intérieur n°14

Claire Bataille | Parcours d'une visionnaire

Figure emblématique de l'architecture d'intérieur belge, Claire Bataille, 85 ans, a marqué son époque avec Paul Ibens. Le duo a introduit une approche radicalement nouvelle dans les années 1960, basée sur la simplicité. "Je n'ai jamais qualifié mon travail de minimaliste, plutôt épuré", précise-t-elle, rejetant les étiquettes réductrices.

Leur philosophie s'articule autour du "nombre d'or", créant des espaces où l'humain retrouve liberté et sérénité. Les intérieurs Bataille & Ibens Design se caractérisent par une sobriété enrichie de matériaux nobles. Leur commode iconique de 1966 et la table H2O pour Bulo sont devenues des références du design belge.

Face aux questions sur le sexisme dans ce milieu masculin, elle répond avec assurance : "Des préjugés parce que j'étais une femme ? Pas du tout !" Son secret : un travail d'égal à égal avec Ibens, dessinant littéralement sur les mêmes plans. Aujourd'hui, entre Bruxelles et Ibiza, elle conseille aux jeunes créateurs : "Évitez les modes, travaillez dur et placez toujours l'expérience humaine au centre."

Du sur-mesure intelligent pour optimiser 6 mètres linéaires sous combles

L'artisan Didier Frémiot a métamorphosé un appartement sous combles du Xe arrondissement parisien en créant un aménagement linéaire de 8,5 mètres alliant esthétique et fonctionnalité. Cette réalisation est une bonne illustration de la réponse du sur-mesure aux contraintes architecturales complexes des logements anciens.

Murs irréguliers, plancher inégal, absence d'angles droits et accès restreint par un escalier en colimaçon : le défi technique était de taille. Reconverti dans l'ébénisterie depuis 2021, Didier Frémiot a déployé une méthodologie rigoureuse : découpe et prémontage en atelier, puis ajustement sur site. L'ensemble comprend 6 mètres de mobilier bas (80 cm de hauteur), une banquette de 2,5 mètres et une penderie séparative.

L'innovation réside dans l'intégration d'éléments escamotables : un bureau coulissant avec système "push-pull" Blum et un écran TV motorisé dissimulé. La finition associe MDF hydro laqué blanc mat (4 couches) et plateau en contreplaqué plaqué chêne. Point technique supplémentaire : l'assemblage par connecteurs Clamex P14 Lamello rend l'ensemble entièrement démontable. Le chantier a nécessité 6 semaines : 3 de fabrication, 2 de laquage et 1 d'installation.

Anthony Authier | La stratégie audacieuse derrière l'architecture pop française

Fondateur de Ziva Studio, Anthony Authier bouscule les codes de l'architecture française avec une approche qualifiée de "pop". Diplômé de l'école d'architecture de Bordeaux, cet architecte de 30 ans s'est fait connaître par une stratégie marketing peu orthodoxe : la création de faux projets 3D qu'il a soumis à la presse spécialisée pour contourner le problème de légitimité des jeunes praticiens.

Son esthétique puise dans la culture populaire : jeux vidéo, cartoons, tuning. Le monochrome radical constitue sa signature : des espaces entièrement colorés du sol au plafond. Cette technique vise à déstabiliser l'utilisateur et brouiller les repères spatiaux traditionnels.

Ziva Studio compte désormais une clientèle de créateurs de contenu et d'artistes (Squeezie, Myd, Panayotis Pascot). Authier revendique le "cartoon core", concept qui transpose les codes de l'enfance dans l'habitat adulte. Sa démarche interroge la notion de bon goût et valorise les sous-cultures longtemps méprisées par la profession.

L'Art déco selon Jacques Grange | Entre héritage et modernité

Le Musée des arts décoratifs, à Paris, offre une carte blanche à Jacques Grange dans le cadre de l'exposition « 1925-2025. Cent ans d'Art déco ». L'architecte d'intérieur de 81 ans, décorateur d'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, y dévoile sa passion pour ce mouvement artistique.

Son histoire d'amour avec l'Art déco débute en 1968 lors de sa découverte du salon de Marie-Laure de Noailles, aménagé par Jean-Michel Frank. D'autres chocs esthétiques suivront : la Maison de verre de Pierre Chareau (1970) et la villa Noailles de Robert Mallet-Stevens. Ces rencontres marquent une rupture avec son éducation classique façon XVIIIe siècle.

La vente Doucet de 1972 constitue un tournant. Grange y acquiert ses premières pièces signées Paul Iribe, côtoyant Warhol et Saint Laurent. Pour cette exposition, il présente 80 % de sa collection privée : un secrétaire Ruhlmann, un tabouret Chareau, la « table aux oiseaux » de Rateau et une création contemporaine de Richard Peduzzi. Cette sélection témoigne de son « Graal » : l'alchimie des mélanges, héritée des maîtres de l'Art déco.